Accueil Actu

Au procès Merah, la violence comme ciment familial

"Un seau de haine" en guise d'éducation: aux assises de Paris, l'aîné de la fratrie Merah a décrit une jeunesse ancrée dans la violence, affirmant que son cadet Abdelkader, rejugé pour complicité des crimes de son frère Mohamed, avait fait du petit dernier "un tueur d'enfants".

"La violence, pour nous, c'était quelque chose de normal", a affirmé Abdelkader Merah, 36 ans, frappé par Abdelghani, un grand frère qu'il admirait et qui l'accuse d'avoir martyrisé le petit Mohamed en "s'amusant" à l'attacher ou en lâchant son chien sur lui.

"Si c'est de ma faute ce qu'est devenu Kader, je veux lui dire qu'à cause de lui, Mohamed est devenu un tueur d'enfants", a répliqué Abdelghani, 42 ans.

Témoin de l'accusation, Abdelghani est le dissident, le "traître" qui a dénoncé les siens après la mort de Mohamed Merah, tué par la police après avoir abattu trois militaires, un enseignant et trois enfants juifs à Montauban et Toulouse les 11, 15 et 19 mars 2012.

Ses premiers mots sont pour les victimes. "Je suis désolé", dit-il à Samuel Sandler, père et grand-père de victimes de l'école juive. "La dernière fois qu'on a tué des enfants juifs, c'était les nazis."

Pas un regard pour Abdelkader, condamné en 2017 à 20 ans de réclusion mais acquitté du chef de complicité. Il demande pardon de n'avoir pas vu plus tôt la dérive "radicale" de ses frères, tant il a baigné lui aussi dans la "violence familiale", entraînant Abdelkader dans la drogue et l'alcool dès ses dix ans.

"Pour connaître la famille Merah, il faut être né dans le même seau de haine", dit-il. Parfois imprécis, brodant sur des souvenirs douloureux, il raconte le père, petit entrepreneur algérien, qui frappe la mère, démissionnaire, et les garçons qui s'enfoncent dans la délinquance, de foyers en séjours en prison.

En 2003, alors qu'Abdelghani a quitté la famille pour vivre avec Anne, une jeune Française - que la mère Merah traitera de "sale juive" du fait de ses origines - les relations avec son frère cadet sont devenues détestables.

Ils s'acharnent sur leurs voitures respectives, l'un à coup de batte, l'autre de club de golf. Abdelkader finira par donner "sept coups de couteau" à Abdelghani.

- "En roue libre" -

Ils ne partagent qu'une chose alors, leur regard sur Mohamed Merah: "Un électron libre, un musulman pécheur" pour Abdelkader; "quelqu'un de déchiré, complètement en roue libre", pour Abdelghani.

S'il est incapable d'expliquer quand et pourquoi ses frères se sont radicalisés, Abdelghani se souvient que le quartier avait surnommé l'accusé "Ben Ben" du fait de sa fascination pour Ben Laden après le 11 septembre 2001, qualifiant Mohamed de "petit Ben Ben". Il affirme qu'à partir des voyages de ses frères entre 2006 et 2011 - en Egypte pour Kader et au Moyen-Orient pour Mohamed - "quelque chose avait changé".

Il voit dans l'accusé "la relève d'Olivier Corel", l'éminence grise de la galaxie salafiste toulousaine. Dans cette communauté, il cite Sabri Essid - réputé mort en Syrie et que Kader qualifie de "petit frère" - et les frères Clain, voix des revendications des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, que l'accusé a admis avoir "croisés au foot" au Caire.

Il raconte aussi la fascination de Mohamed pour les armes, sa joie quand des attentats étaient commis. Pourtant, relève la présidente, "vous n'avez jamais rompu avec lui, on relève 85 appels entre vous les cinq derniers mois".

"C'était mon petit frère. Dans la famille Merah, on pouvait se déchirer, presque s'entretuer mais quand on avait besoin les uns des autres, on était présents", répond Abdelghani, de 12 ans l'aîné du tueur.

"Vous êtes le seul à savoir qu'il (Mohamed Merah) a un colt 45, qu'il a la haine des militaires, qu'il cherchait à avoir une kalachnikov, à savoir qu'il a la haine des juifs (...) Je suis pas en train de vous dire que vous êtes complice, mais si nous avions un seul de ces éléments contre Abdelkader Merah, ce serait du pain bénit pour l’accusation", a cinglé Me Archibald Celeyron pour la défense.

Le verdict est attendu le 18 avril.

À lire aussi

Sélectionné pour vous