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Aux Baumettes, une longue file pour entrer en prison

"C'est la première fois que je vois des gens faire la queue pour entrer en prison! ", relève, amusé, un gardien: à Marseille, un ancien bâtiment des Baumettes, promis à la destruction, ouvre exceptionnellement ses portes à des visiteurs fascinés.

Sur la chaussée, ils sont plusieurs dizaines --retraités, mères de famille, jeunes travailleurs ou encore étudiants en architecture-- à patienter mercredi devant les hauts murs en pierre de taille pour pénétrer dans l'un des bâtiments historiques du centre pénitentiaire datant des années 1930, occupé jusqu'en juillet 2018.

Avec plus de 2.600 inscrits, les visites, uniquement sur réservations et étalées jusqu'au 30 novembre, affichent déjà complet, ce qui "surprend" encore Pierre Raffin, directeur des services pénitentiaires Sud-Est.

"L'objectif de ces portes ouvertes étaient de rendre hommage au personnel et de faire découvrir un univers souvent méconnu qui suscite de nombreux fantasmes", explique-t-il.

A peine rentré dans la salle des greffes où les détenus se voient remettre un numéro d'écrou, la première question fuse: "Est-ce que c'est vrai que l'on cache des calmants dans la nourriture des détenus ?", interroge Lopna Tarik. "Non, vous imaginez si on faisait ça ce qu'on dirait ?", répond M. Raffin à la quadragénaire.

"Et c'est vrai qu'ils ont le droit de fumer des cigares et de boire du whisky ?", demande un autre en passant devant le box des fouilles. Non, l'alcool est interdit depuis plusieurs dizaines d'années, mais les cigarettes peuvent être "cantinées" (achetées au sein de la prison), corrige un ancien employé de l'administration pénitentiaire qui assure bénévolement les visites.

Exposition des registres des détenus datant des années 40, où l'on note à la plume les signes distinctifs des prisonniers, de clés et serrures géantes d'un autre âge, ou enfin de la glaçante guillotine qui servit dans les sous-sols pour la dernière exécution organisée en France, celle d'Hamida Djandoubi le 10 septembre 1977: la visite égrène au fil des salles aux murs décrépis l'histoire des Baumettes devant des promeneurs médusés.

-Ventilateur mixeur -

"Ils ont beaucoup d'imagination", s'étonne un retraité devant la vitrine d'objets du quotidien détournés en arme tranchante ou destinés à améliorer l'ordinaire, comme cette boîte de chicorée transformée en bouilloire ou ce ventilateur devenu mixeur.

L'angoisse est palpable lorsque la file de visiteurs, après avoir franchi d'innombrables portes aux barreaux de fer, déambule dans les tristes coursives menant aux cellules dans un brouhaha assourdissant. Invectives, bruits des bâtons des surveillants glissant sur les barreaux de fenêtres afin de vérifier qu'ils sont bien scellés, portes qui claquent: l'immersion est totale.

"On a l'impression d'être à la place du détenu. Je m’aperçois qu'à chaque porte qui s'ouvre une autre se ferme derrière nous. Je sais que pour moi l'enfermement est éphémère mais je me mets à la place de vrais détenus...", déclare Mme Tarik en pénétrant dans une chambre de 9 m2 avec ses deux lits superposés, ses vêtements et sa nourriture laissés sur place.

"C'est atroce cette promiscuité. Je me dis que j'ai beaucoup de chance d'être là où je suis", confie Kathy Lê, une ancienne habitante du quartier qui se souvient des cris échangés par les détenus avec leur famille à l'extérieur.

"A chaque fois que je partais randonner dans les calanques à côté, je me demandais ce qu'il y avait derrière ces murs", poursuit l'enseignante à la retraite qui se souvient de cet élève dont le père était emprisonné et portait sur lui toute "la souffrance de ce traumatisme".

"Nous avons voulu montrer les choses telles qu'elles sont sans être idyllique, et aussi que notre institution souvent décriée sait s'adapter", explique M. Raffin.

Le directeur l'assure: les nouveaux bâtiments construits en 2017 sont entièrement insonorisés et le confort des détenus amélioré avec notamment des toilettes et sanitaires dans chaque cellule.

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