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Aux confins de Jérusalem, les Palestiniens vivent dans les limbes

Les habitants de Koufr Aqab auraient quelque raison de croire qu'ils vivent sous deux gouvernements à la fois. Ou aucun.

Ils paient leurs taxes aux autorités israéliennes, pour la collecte des ordures et l'entretien des routes. L'eau et l'électricité sont en revanche fournies par des compagnies palestiniennes. Quand la police vient, elle est souvent palestinienne.

Pour Israël, Koufr Aqab fait partie de la municipalité de Jérusalem, et est donc sous souveraineté israélienne. Sauf que, physiquement, Koufr Aqab est coupé de Jérusalem par le mur de béton israélien supposé protéger contre les incursions palestiniennes hostiles venues de Cisjordanie occupée.

Le résultat est une poche de cinq kilomètres carrés entre Jérusalem de l'autre côté du mur et Ramallah, la capitale politique palestinienne. Un endroit au milieu de nulle part où s'entassent environ 100.000 Palestiniens.o

De hauts immeubles dépourvus de tout-à-l'égout digne de ce nom semblent s'être construits les uns sur les autres, laissant à peine la place à d'étroites ruelles où les poubelles débordent.

Ni totalement sous contrôle israélien, ni vraiment sous autorité palestinienne, Koufr Aqab est minée par la pauvreté et la criminalité.

"La vie est devenue insupportable", soupire Abou Mohammed, un commerçant qui vit ici depuis 25 ans.

Koufr Aqab est l'un de ces lieux incongrus créés par le conflit israélo-palestinien. La police israélienne s'y aventure plus que rarement. L'armée israélienne n'y mène des incursions que pour procéder à des arrestations.

"Les fugitifs recherchés par Israël se réfugient ici, et les fugitifs recherchés par l'Autorité palestinienne viennent aussi ici et personne ne les contrôle", raconte Abou Mohammed.

- Question de permis -

Alors pourquoi rester? Parce que, dans les limbes administratives, Palestiniens de Cisjordanie et Palestiniens de Jérusalem peuvent vivre ensemble.

Les Palestiniens de Jérusalem ont le statut de résidents de la Ville sainte, qui leur permet d'accéder à Jérusalem et tout Israël. Les Palestiniens de Cisjordanie ont besoin d'un permis pour entrer à Jérusalem.

Si les autorités israéliennes déterminent qu'un Palestinien possédant le statut de résident n'habite pas véritablement à Jérusalem, elles peuvent lui retirer ce statut. Cette disposition est la hantise de bien des Palestiniens de Jérusalem.

Koufr Aqab étant derrière le mur, les Palestiniens de Cisjordanie occupée peuvent y vivre sans demander de permis, et ceux de Jérusalem ne risquent pas de perdre leur statut de résidents en y habitant puisqu'au regard du droit israélien, ils sont bien domiciliés à Jérusalem.

Les logements y sont aussi beaucoup plus accessibles qu'à Jérusalem.

Environ 85% des habitants de Koufr Aqab auraient le statut de résidents de Jérusalem, selon des estimations palestiniennes.

Youssef Qassam, doté de papiers de Cisjordanie, n'est pas dans ce cas, et n'a donc pas le droit de mettre les pieds à Jérusalem. Mais son épouse est de Jérusalem et leurs quatre enfants sont tous des Palestiniens résidents de la Ville sainte.

S'ils habitaient ailleurs qu'à Koufr Aqab, ils perdraient ce statut de résidents, raconte-t-il. "Nous savons qu'Israël est en train de vider Jérusalem de ses Palestiniens", affirme-t-il.

Israël a officiellement annexé en 1980 Jérusalem-Est, partie palestinienne de la ville conquise en 1967. Tout Jérusalem est sa capitale "indivisible", dit Israël, bien que l'annexion ait été déclarée "nulle et non avenue" à l'ONU.

- "Inaliénable" -

Les Palestiniens espèrent eux faire de Jérusalem-Est la capitale de l'Etat auquel ils aspirent, et accusent Israël de chercher à les chasser de la ville, ce qu'Israël dément.

"La position du maire est claire: Koufr Aqab est une partie inaliénable de Jérusalem", dit Ben Avrahami, conseiller aux affaires de Jérusalem-Est auprès du maire israélien de la ville.

Une administration spécifique agissant au nom de la municipalité "fournit des services et gère les jardins d'enfants", dit-il.

Il évoque un "investissement fort" dans les infrastructures et les routes, et un sous-traitant s'occupe de la collecte des ordures, dit-il, réfutant que les habitants de Koufr Aqab paient des impôts pour pas grand-chose en retour.

L'Autorité palestinienne est également présente à Koufr Aqab, afin de "protéger la présence palestinienne", dit Ashraf Al-Ramouni, directeur des relations publiques de la municipalité palestinienne de Koufr Aqab.

"Chaque année, nous dépensons près d'un million de dollars pour des projets d'infrastructure", ajoute-t-il, admettant que, malgré tout, les conditions de vie sont "dramatiques".

Mounir Zoughair, qui milite depuis des années pour améliorer la situation, a conservé les procès-verbaux des actions qu'il a engagées contre la mairie de Jérusalem.

Beaucoup d'habitants de Jérusalem ont choisi de vivre à Koufr Aqab pour "échapper au coût de la vie à Jérusalem, mais en même temps, ils sont obligés de payer les impôts" municipaux, et devraient bénéficier des services correspondants, dit-il.

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