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Aux Etats-Unis, la liberté des procureurs de poursuivre... ou pas

L'abandon des poursuites contre un acteur accusé d'avoir inventé une agression raciste et homophobe a ravivé les critiques contre le système judiciaire américain, accusé de favoriser les puissants et de laisser trop de pouvoir aux procureurs.

"N'est-ce pas un signe d'espoir? En Amérique, quelle que soit leur couleur ou leur orientation sexuelle, les riches et célèbres s'en sortent toujours facilement", a ironisé l'humoriste Stephen Colbert dans son "Late Show".

Jussie Smollett, une des vedettes de la série "Empire", avait affirmé avoir été agressé fin janvier par deux individus masqués dans le centre de Chicago. Ils avaient, selon lui, proféré des "insultes racistes et homophobes" avant de le frapper.

La police avait rapidement estimé qu'il avait mis en scène cette agression pour faire avancer sa carrière et il avait été inculpé par un grand jury, notamment pour dépôt de fausse plainte.

Mardi, à la surprise générale, un procureur de l'Illinois a abandonné toutes les charges pesant contre lui.

L'acteur, qui maintient son innocence, a renoncé à réclamer les 10.000 dollars payés pour sa libération sous caution et a effectué quelques heures de travaux d'intérêt général, mais il n'a officiellement pas passé d'accord avec la justice.

Les policiers en charge de l'enquête se sont dits "choqués" par cette décision, et le maire de Chicago, Rahm Emanuel, a dénoncé une justice à deux vitesses.

"Vous ne pouvez pas avoir une série de règles pour les gens ayant un certain statut et une série différente de règles pour tous les autres", a-t-il déclaré.

Cette décision "n'a aucun sens", a également estimé Bob Bianchi, un ancien procureur du New Jersey. "Les procureurs ont cédé à l'opinion publique", a-t-il estimé sur Fox en dénonçant "un abus écoeurant de leur pouvoir discrétionnaire".

- "Du bon et du mauvais" -

Aux Etats-Unis, les procureurs, que ce soit au niveau de la justice fédérale ou de la justice des Etats, jouissent d'une grande liberté dans la poursuite des dossiers. Ils supervisent le travail d'enquête, organisent les procès, peuvent interroger les témoins pendant les audiences, recommandent des peines...

"C'est une longue tradition, une norme culturelle qui a du bon et du mauvais", explique à l'AFP Rory Little, professeur de droit à l'Université Hastings de San Francisco. "Les avocats de la défense y tiennent parce que cela leur permet de demander un traitement individualisé pour leurs clients et les procureurs y tiennent parce que ça leur donne de la flexibilité", dit-il.

Il existe certes des limites constitutionnelles à leurs pouvoirs (ne pas avoir de biais raciste, ne pas faire preuve de favoritisme...) mais "c'est difficile à vérifier", reconnaît l'universitaire.

Généralement, ajoute Carl Tobias, professeur de droit à l'Université de Richmond en Virginie, "l'inquiétude porte surtout sur le risque de poursuites excessives: quand ils poursuivent des gens qui ne le méritent pas ou qu'ils réclament des peines trop lourdes".

C'est particulièrement vrai dans la justice des Etats, où les procureurs sont le plus souvent élus et ont besoin de montrer leur fermeté.

La Cour suprême s'est ainsi saisie la semaine dernière du dossier d'un homme jugé à six reprises par le même procureur pour le même crime, dans le Mississippi. Une de ses magistrates a dénoncé la "passion" déployée par le procureur pour obtenir une condamnation.

Mais les "State ou district attorneys" ont également toute latitude pour conclure des accords de plaider-coupable avec des accusés et s'épargner ainsi de longs procès coûteux. "Ils ont besoin de cette flexibilité parce qu'ils ont peu d'argent", souligne Carl Tobias.

C'est d'ailleurs l'argument avancé par le procureur dans le dossier Smollett. "Nous ne l'avons pas blanchi", a expliqué à la presse Joseph Magats, en justifiant sa décision par "les ressources limitées" de ses services et "la priorité à la lutte contre les crimes violents".

Cela n'a pas convaincu les sceptiques, qui ont également critiqué l'opacité de sa décision. Les avocats de Jussie Smollett ont demandé que les éléments du dossier soient placés sous scellés, le procureur ne s'y est pas opposé et un tribunal a accepté.

Les Américains n'auront donc sans doute jamais le fin mot de l'histoire.

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