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La violence franchit un cran en Irak, 28 morts en trois jours de manifestations

L'Irak vivait jeudi sa journée la plus sanglante depuis le début mardi de manifestations au cours desquelles 28 personnes ont été tuées dans des affrontements d'une violence inédite entre protestataires et forces de sécurité.

Parti de Bagdad, le mouvement réclamant des emplois pour la jeunesse et le départ des dirigeants "corrompus" a désormais gagné la quasi-totalité du sud du pays et franchi un nouveau pallier dans la capitale, deuxième plus peuplée du monde arabe.

Jeudi, les blindés des forces spéciales sont entrés en action à Bagdad pour repousser la foule, les forces de l'ordre tirant sur le sol des balles qui ricochaient sur les manifestants, aussitôt transportés à bord de touk-touk par des camarades, a constaté un photographe de l'AFP.

Sans entamer la détermination d'Ali, diplômé chômeur de 22 ans qui prévient: "on continuera jusqu'à la chute du régime". "Je veux travailler, je veux pouvoir me marier, je n'ai en poche que 250 dinars", soit moins de 20 centimes d'euros, lance-t-il à l'AFP. Alors, dit-il, que "les dirigeants brassent des millions" dans le douzième pays le plus corrompu au monde selon Transparency International.

Abou Jaafar, retraité aux cheveux blancs, observait lui les affrontements, affirmant être venu "en soutien aux jeunes". "Pourquoi les policiers tirent-ils sur des Irakiens comme eux? Eux aussi souffrent comme nous, ils devraient nous aider et nous protéger", s'emporte-t-il.

Fait inédit en Irak, le mouvement est né sur les réseaux sociaux d'appels qu'aucun parti politique ou leader religieux n'a revendiqués.

Endeuillée par 28 morts --26 manifestants et deux policiers--, dont 17 dans la seule province méridionale de Zi Qar, la contestation a tourné jeudi à la bataille rangée à Bagdad sur des axes menant à la place Tahrir, rendez-vous emblématique des contestataires.

- Couvre-feu -

Manifestants d'un côté et policiers antiémeutes et militaires de l'autre se repoussaient par vagues dans la cité de neuf millions d'habitants, placée sous couvre-feu et où les fonctionnaires --la majorité des travailleurs du pays-- ont été appelés à rester chez eux, a constaté un photographe de l'AFP.

Pour faire reculer plusieurs milliers de protestataires arrivés à bord de camions en brandissant des drapeaux, les forces de sécurité tiraient à balles réelles, à bord de blindés.

Sur la place al-Tayyaran dans le centre de Bagdad, les manifestants s'en sont pris à ces véhicules, en incendiant deux, a rapporté un photographe de l'AFP.

Dans d'autres villes du Sud, des affrontements ont également eu lieu et après 19 morts entre mardi soir et jeudi matin, neuf nouveaux morts --dont un policier-- ont été recensés en fin de journée par des responsables de la Santé.

Les autorités ont décrété un couvre-feu à Diwaniya, à 150 km au sud de Bagdad, tentant de faire fermer commerces et bureaux, a rapporté un correspondant de l'AFP. De telles mesures prises la veille ailleurs, notamment à Bagdad, n'ont pas eu d'effet.

Ces manifestations sont un test majeur pour le gouvernement d'Adel Abdel Mahdi, qui doit souffler sa première bougie fin octobre. Ce dernier ne s'est exprimé jusqu'ici que par communiqué, saluant "la retenue des forces armées" et annonçant le couvre-feu à Bagdad, tandis que son bureau affirmait avoir rencontré des "représentants des manifestants".

Les autorités, qui dénoncent des "saboteurs" et proposent aux protestataires d'appeler un numéro vert pour faire part de leurs revendications, semblent avoir choisi la fermeté, une décision critiquée jeudi par l'organisation Amnesty.

Elle a exhorté Bagdad à "ordonner immédiatement aux forces de sécurité de cesser d'utiliser une force, notamment létale, excessive" et à rétablir la connexion, internet étant toujours coupé dans une grande partie du pays et les réseaux sociaux inaccessibles.

- Appel à la mobilisation -

Si les manifestants disent redouter la répression, ils dénoncent un ennemi plus dangereux: la récupération politique.

Ils assurent ne pas avoir de leader et uniquement réclamer des services publics fonctionnels après des décennies de pénurie d'électricité et d'eau potable, des emplois pour les 25% de jeunes au chômage, et la fin de la corruption qui a englouti en 16 ans plus de 410 milliards d'euros.

Mais un appel du très versatile leader chiite Moqtada Sadr --qui a rejoint la coalition gouvernementale mais menace régulièrement de la faire éclater-- pourrait changer la donne.

Il a demandé mercredi soir à ses très nombreux partisans, qui avaient déjà paralysé le pays en 2016 avec des manifestations à Bagdad, d'organiser des "sit-ins pacifiques". S'ils le font effectivement et décident de passer la nuit sur les places de Bagdad et du sud irakien, le bras de fer va se durcir.

Tandis que Bagdad s'embrase et que manifestations et violences touchent les provinces de Najaf, Missane, Zi Qar, Wassit, Diwaniya, Babylone et jusqu'à Bassora, le calme prévaut au nord et à l'ouest de Bagdad, régions principalement sunnites et ravagées par la guerre contre le groupe État islamique (EI), ainsi qu'au Kurdistan autonome.

Bagdad cristallise les violences car les protestataires cherchent à prendre la place Tahrir, séparée de l'ultrasensible Zone verte --où siègent les principales institutions du pays et l'ambassade américaine,-- uniquement par un pont, al-Joumhouriya, bouclé par les forces de l'ordre.

Symbole fort, les autorités ont refermé ce secteur qui avait été rouvert aux Irakiens en juin seulement, après 15 années de repli derrière murs et barbelés.

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