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Banjos et mandolines tchèques font le bonheur de stars américaines

Dans le foyer d'une salle de concert pragoise, le grand joueur américain de banjo Ned Luberecki s'enfonce dans un fauteuil et pince doucement les cordes de son instrument. "J'attends toujours de lui trouver un nom. Je viens de décider que ce sera un nom féminin. Probablement un nom tchèque", dit-il en caressant l'instrument.

Désigné "banjoïste de l'année" en 2018 par l'Association internationale de la musique bluegrass (IBMA), Ned Luberecki est l'une des vedettes de cette branche de la musique country qui ont un faible pour des banjos et mandolines nés dans un petit village tchèque niché dans les montagnes.

C'est au luthier Rosta Capek que Ned Luberecki doit son instrument chéri. Il en possède un deuxième, conçu lui aussi dans l'atelier du Tchèque.

"J'apprécie vraiment le savoir-faire de Rosta", dit l'Américain.

M. Capek, 51 ans, a aussi fabriqué les instruments d'autres musiciens vedettes comme les Américains Ricky Skaggs, à 15 reprises lauréat du Grammy Award, et Doyle Lawson, nominé au même prix.

Il baigne dans le bluegrass depuis son enfance: son père a été manager d'un groupe exclusivement féminin où la mère de Rosta jouait du banjo.

"Je ne voulais pas devenir musicien professionnel. J'ai peu vu mes parents, ils faisaient 260 concerts par an", raconte-t-il, après avoir chassé d'un geste Flatt et Scruggs, un chien et un chat nommés d'après le célèbre duo Flatt & Scruggs.

"Mais ma passion pour les instruments de musique m'a amené à la lutherie". Et "quand Ricky Skaggs, star parmi les stars et musicien absolument fabuleux, vous achète un instrument, c'est fantastique..."

- En tchèque, svp ! -

Rosta Capek a fabriqué son premier banjo en 1985, à l'époque communiste où tout ce qui était américain était vu d'un mauvais oeil par les autorités. Il s'agissait d'une copie d'un banjo à cinq cordes de la marque Gibson utilisé par sa mère.

"Maman l'a obtenu d'un atelier de fabrication d'instruments de musique où elle se produisait avec son groupe", raconte M. Capek. "Quelqu'un l'avait apporté des Etats-Unis comme échantillon. Mais les responsables de l'atelier le trouvaient médiocre et pensaient qu'ils pourraient en fabriquer de meilleurs". La mère de Rosta et son groupe ont rassemblé tout l'argent qu'ils avaient pour pouvoir repartir en emportant l'échantillon américain.

Paradoxalement, le régime communiste – disparu en 1989 – a joué, sans le vouloir, un rôle majeur dans le développement de la scène bluegrass locale et dans l'immense popularité de ce genre musical dans la Tchécoslovaquie d'alors.

Le bluegrass tchécoslovaque était en effet étroitement lié au mouvement unique de "tramping" né en Tchécoslovaquie dans l'entre-deux-guerres: une sorte de scoutisme sauvage prétendûment inspiré du style de vie "à l'américaine", qui a amené de nombreux Tchèques et Slovaques à chercher pendant les weekends et les vacances refuge dans la nature, avec au programme des soirées autour d'un feu de camp et de la musique...

Les premiers groupes tchèques de bluegrass tels que "Greenhorns" ou "Rangers" sont apparus dans les années 1960, à l'époque d'un dégel relatif du régime communiste avant le Printemps de Prague de 1968.

"Les autorités n'autorisaient pas les chansons en anglais, alors on a créé des versions tchèques de standards du bluegrass et de la country", se souvient Petr Brandejs, chef de l'Association tchèque de bluegrass.

- Les noces de bluegrass -

Chantées en tchèque, des chansons comme "Jesse James", "Orange Blossom Special" ou encore "Folsom Prison Blues" ont ainsi rapidement trouvé leur place lors de jam sessions improvisées.

Après l'écrasement par les chars soviétiques des réformes du Printemps de Prague de 1968, les autorités ont contraint les groupes à renoncer à leurs noms anglais, condition sine qua non de leur survie.

C'est à cette époque-là que le "tramping" a atteint son apogée: "Les gens souhaitaient échapper à la grisaille de la vie sous le régime totalitaire et allaient jouer dans les bois. Ils y jouaient des chansons américaines et se sentaient plus libres", raconte M. Brandejs.

Le premier instrument vendu par Rosta Capek aux Etats-Unis a été une mandoline, en 1995.

"L'argent que j'ai gagné m'a permis de payer mon billet d'avion. J'étais content mais il y avait encore un long chemin devant moi", se souvient cet homme qui fabrique une douzaine de mandolines et jusqu'à une cinquantaine de banjos par an.

L'année 2018 a été spéciale pour Rosta Capek.

Il a épousé son assistante de longue date lors de "noces de bluegrass", avec comme témoin Rob Ickes, joueur de guitare à résonateur et lauréat à 15 reprises du Prix d'IBMA.

Puis en septembre, Ned Luberecki a obtenu son titre IBMA. "Il l'a gagné avec mon banjo! C'est la plus grande récompense que j'aie jamais eue", se réjouit le luthier tchèque, infatigable organisateur de concerts de bluegrass à Prague.

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