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Billy Graham, l'anticommuniste viscéral qui était le bienvenu en Corée du Nord

Anticommuniste fervent, le prédicateur américain Billy Graham était aussi, paradoxalement, le bienvenu en Corée du Nord où le "Grand leader" Kim Il Sung l'avait reçu avec chaleur.

L'influent pasteur évangéliste, décédé mercredi à 99 ans, était devenu en 1992 le premier leader religieux à se rendre en Corée du Nord alors que le "Royaume hermite" était durement atteint par l'effondrement du bloc soviétique.

Au cours d'une rarissime audience avec le "Grand leader" Kim Il Sung, il lui avait offert un exemplaire de son livre "La paix avec Dieu" et lui avait remis un message du président américain George Bush. Les médias nord-coréens avaient décrit une atmosphère "amicale et cordiale".

"Incontestablement, un des événements les plus mémorables de ma vie", avait plus tard raconté Graham.

Le religieux, inlassable pourfendeur du communisme du haut de la chaire, avait aussi prononcé un sermon à Pyongyang et une conférence à l'Université Kim Il Sung, la plus prestigieuse du pays. Le tout dans un pays condamnant officiellement la religion.

"Les communistes ne vont pas faire de compromis, ils ne vont pas changer, leur objectif est de dominer le monde", avait-il dit dans un de ses prêches. "Le communisme est le plus grand défi auquel l'Eglise soit confrontée de notre temps".

- Kim, élevé dans la foi -

Un tel paradoxe n'est pas si étonnant, selon les analystes, qui soulignent que Kim avait été élevé dans la foi chrétienne, sa mère étant une fervente pratiquante. "A la lumière de l'expérience personnelle de Kim Il Sung avec le Christianisme, il n'est pas étonnant qu'il ait rencontré Graham", explique à l'AFP Paik Hak-Soon, du Sejong Institute.

Mais contrairement à ce que pensait Graham, qui avait prédit une ouverture du régime, la Corée du Nord avait accéléré sa course à l'arme atomique. A tel point que l'administration Clinton avait sérieusement envisagé un bombardement de ses installations nucléaires en 1994, année de la deuxième visite de Bill Graham à Pyongyang.

Ce voyage avait ouvert la voie à une visite historique en Corée du Nord, quelques mois plus tard, de l'ancien président américain Jimmmy Carter qui avait rencontré Kim Il Sung et contribué à négocier un accord pour apaiser la crise.

"A travers Graham, Kim Il Sung avait réussi à faire passer à Washington un message selon lequel il voulait négocier, et Carter avait saisi l'occasion", estime le professeur Yang Moo-Jin, de l'Université des études nord-coréennes à Séoul.

Graham avait aussi visité la Chine en 1988, dans le but affiché de "bâtir des ponts" entre Washington et Pékin ainsi qu'entre les Eglises des deux pays. "Nous n'avons pas le même dieu mais peu importe. Cela ne nous empêche pas d'avoir une bonne conversation ensemble", lui avait dit le Premier ministre Li Peng, qui l'avait chaleureusement reçu.

Cette visite, un an avant l'écrasement du "Printemps de Pékin", n'avait toutefois guère contribué à rendre les autorités chinoises plus tolérantes à l'égard des religions.

Un mois après la seconde visite de Billy Graham à Pyongyang, Kim Il Sung mourait et son fils Kim Jong Il lui succédait. Le prédicateur lui-même n'est plus jamais retourné en Corée du Nord, mais son fils Franklin Graham y est allé à plusieurs reprises.

Kim Il Sung "était un dirigeant fort et charismatique, je pouvais comprendre pourquoi ses compatriotes le tenaient en haute estime", avait déclaré Billy Graham après la mort du "Grand Leader".

Le christianisme a fortement pris racine dans la Péninsule coréenne, où il a été introduit au XIXe siècle. A tel point que Pyongyang, où l'épouse de Graham, fille de missionnaires, avait vécu dans les années 1930, fut autrefois surnommée la "Jérusalem de l'Est".

La religion est interdite par la Corée du Nord communiste, contrairement au Sud où les églises prolifèrent. Mais pour le pasteur Choi Kwang, qui officie parmi les transfuges nord-coréens en Corée du Sud, "la Corée du Nord est un terrain potentiellement fertile pour l'évangélisme"

Le Juché, l'idéologie officielle de Corée du Nord inventée par Kim Il Sung, "est similaire au dogme chrétien, sauf que ce sont les Kim qui occupent la place de Dieu", explique-t-il.

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