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Canada: après les photos de "blackface", l'image de Justin Trudeau brouillée

Racisme ou erreur de jeunesse ? La publication de photos montrant un jeune Justin Trudeau grimé en Noir a sérieusement écorné son image de chantre de la tolérance et de l'ouverture, mais pas forcément compromis ses chances de réélection, selon plusieurs spécialistes.

"Tant au Canada qu'à l'étranger, cette affaire a terni l'image de Justin Trudeau alors que son parti libéral avait bâti sa force sur un discours d'ouverture, de multiculturalisme et de sensibilité aux questions de diversité", analyse pour l'AFP Stéphanie Chouinard, politologue au Collège militaire royal de Kingtson. "C'est un coup très dur pour lui".

A un mois d'élections législatives indécises, le Premier ministre, au coude-à-coude avec les conservateurs dans les sondages, se serait bien passé de cette polémique qui domine la campagne depuis mercredi.

Défenseur d'un multiculturalisme hérité de son père, l'ex-Premier ministre Pierre Elliot Trudeau, le dirigeant libéral s'est retrouvé accusé de racisme après la publication de deux photos et d'une vidéo qui ont fait l'effet d'une bombe au Canada.

Sur l'une, on le voit, âgé de 29 ans, déguisé en Aladdin, le visage bruni par du maquillage, lors d'une soirée à l'école privée de Vancouver où il enseignait.

Sur une autre, il s'est grimé en Noir lors d'un spectacle de son collège où il imite le chanteur noir Harry Belafonte. Même maquillage sur une vidéo non datée diffusée jeudi par la télévision Global News, le montrant grimaçant et levant les bras, vêtu d'un jean troué et d'un t-shirt.

Les images ont fait le tour du monde. Elles ont pris une résonnance particulière aux Etats-Unis, où la question du "blackface" est particulièrement sensible. Cette pratique y est née au 19e siècle lors de spectacles pendant lesquels des Blancs se noircissaient le visage pour se moquer des Noirs.

"C'est surtout aux Etats-Unis où ça nuit à son image de héraut de la gauche centriste", relève Daniel Béland, professeur de sciences politiques à l'université McGill. En Europe, les critiques seront moins sévères, "à l'exception peut-être du Royaume-Uni", abonde Mme Chouinard.

-"Impact négatif chez les jeunes"-

Donald Trump lui-même s'est dit "surpris" par les photos de Trudeau. "J'ai été encore plus surpris quand j'ai vu le nombre de fois", a ajouté vendredi le milliardaire républicain, lui-même régulièrement accusé de racisme.

En accueillant plusieurs dizaines de milliers de réfugiés syriens, celui qui voulait "remettre le Canada sur la carte du monde" après son élection en 2015, a marqué les esprits. Il s'est nettement démarqué de son voisin américain par ses positions pro-immigration.

Mais depuis mercredi, Justin Trudeau fait acte de contrition, se confond en excuses, reconnaît qu'il a pu heurter les Canadiens souffrant de discrimination, assure le regretter profondément.

"Se repentir était la seule option", souligne Mme Chouinard. "Il aurait pu dire qu'à l'époque, la question du blackface était inconnue au Canada, mais il aurait semblé vouloir se dédouaner".

M. Trudeau, 47 ans, a assuré qu'au moment de ces photos, il ignorait le caractère raciste de ce geste, plaidant l'erreur de jeunesse. Ce qui, pour certains de ses détracteurs, dénote plus un "manque de jugement" qu'une personnalité raciste.

"Ca va lui nuire en terme d'image, mais ça reste à voir si ça aura vraiment un impact sur la course électorale", relativise Daniel Béland.

Au Canada, les réactions les plus virulentes sont venues de la partie anglophone du pays, traditionnellement plus proche des Etats-Unis.

La province francophone du Québec se montre globalement plus modérée, tant dans la tonalité des médias que dans la population interrogée par ces médias.

A l'instar de la Ligue des Noirs du Québec, une association de défense des droits de la communauté noire, qui a défendu M. Trudeau, estimant que son bilan montrait qu'il n'était pas raciste, et n'avait pas à s'excuser pour ses "blackfaces" de jeunesse.

Dès lors, difficile de prédire si la polémique peut coûter sa réélection à Justin Trudeau, s'accordent à dire experts et éditorialistes.

"Il va falloir attendre les prochains sondages, parce qu'il y a beaucoup d'enjeux dans la campagne, il y aura d'autres controverses", nuance M. Béland.

"Ca pourrait avoir un impact négatif chez les jeunes, plus sensibles aux questions d'appropriation culturelle", estime Stéphanie Chouinard.

"Les Canadiens, cependant, pardonnent volontiers, par nature. Et c'est peut-être ce qui va sauver la mise à M. Trudeau en fin de compte", conclut un éditorialiste du Globe and Mail.

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