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Colombie: la garde indigène mobilisée contre les assassinats de leaders communautaires

Le "Grand Indien" trace son chemin parmi la foule à Toribio, localité de Colombie marquée par la violence. Sa main ne fait qu'une avec sa robuste canne, seule arme contre les fusils des groupes armés qui assaillent les territoires indigènes.

Connu pour son courage et sa haute taille, Luis Acosta ne cache pas ses craintes. Mais en des temps où les agressions envers les peuples autochtones s'aggravent, surtout dans cette région du sud-ouest du pays, ce coordinateur national de la garde indigène en appelle à l'unité enseignée par les "anciens" pour protéger terres et droits.

"Notre arme fondamentale c'est la force spirituelle. Nos cannes sont chargées de force spirituelle", a-t-il expliqué à l'AFP.

Au total, 1.500 gardes d'une demi-douzaine d'ethnies s'étaient donné rendez-vous les 11 et 12 octobre dans cette municipalité du département du Cauca, où le conflit armé ne connaît pas de trêve. Tous brandissaient avec fierté, à la main ou en travers de leur torse, les cannes symboles de leur charge de défenseur de leurs communautés.

Enclavée dans les montagnes vert émeraude de la cordillère des Andes, dont les pans sont plantés de marijuana et de coca, matière première de la cocaïne, Toribio a été le théâtre de combats sanglants durant la confrontation entre les forces de l'ordre et la guérilla des Farc.

L'accord de paix de 2016, à la suite duquel les rebelles marxistes ont déposé les armes, a apporté un bref répit à cette municipalité de 29.000 habitants, dont 97% d'indigènes.

Mais, comme dans d'autres zones du pays, le vide laissé par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) a été comblé par d'autres acteurs : dissidents de l'ex-guérilla ayant rejeté l'accord de paix, rebelles de l'Armée de libération nationale (ELN) ou narco-trafiquants, qui se disputent le territoire et ses sources de revenus illicites.

"Nous nous sentons impuissants. Nous sommes des gens de paix et nous luttons, non avec des armes, mais avec nos idées", explique Jairo Enrique Narvaez, coordinateur des gardes de l'ethnie Yanacona. "A la barbe de l'armée, de la police, on assassine notre peuple", dénonce-t-il.

En à peine plus d'un mois, entre le 1er septembre et le 7 octobre, le bureau colombien du Haut commissariat des Nations unies pour les droits humains a répertorié neuf homicides d'indigènes dans le Cauca, et fait état d'une intensification d'agressions comme la torture, le recrutement forcé de mineurs, le déplacement de populations et des attentats.

- Une lutte inégale -

Depuis la signature de l'accord de paix avec les Farc, transformées en parti politique, 486 leaders communautaires ou militants des droits humains et de l'environnement ont été assassinés, la majorité dans le Cauca et parmi eux 31 indigènes, selon le Défenseur du peuple, entité publique de protection des droits.

Las des violences, les "guerriers millénaires" des peuples ancestraux de Colombie s'étaient rassemblés pour coordonner leurs actions de défense et d'auto-protection.

Ils affrontent quotidiennement des hommes armés qui veulent recruter ou déplacer des indigènes pour transformer leurs terres en narco-plantations. Parfois, les gardes parviennent à libérer un jeune enrôlé de force, voire à capturer et à désarmer leurs agresseurs. Mais leurs victoires amplifient la haine des porteurs de fusils.

"La préoccupation est immense... Ils lâchent des rafales directement", déplore Jorge Urwe, venu du nord du Cauca, à propos des dissidents des Farc, qui à feu et à sang gagnent terrain et pouvoir. "Nous n'allons pas nous laisser faire", lance-t-il pourtant.

Les combats sont inégaux entre armes et cannes, symboles d'honneur pour les indigènes, qui représentent 4,4% des 48 millions de Colombiens. Longues d'environ 80 cm, elles sont taillées dans le bois dur de la chonta, une espèce de palmier, et ornées d'animaux gravés ou de rubans de couleurs selon les ethnies.

La canne est le "compagnon de la défense du territoire", explique José Albeiro Camallo, 39 ans, qui ne veut "tuer personne (...) Ce serait selon nous néfaste à l'équilibre" de la terre mère.

Bien que conscients de l'inégalité des forces, les indigènes ont réaffirmé ce weekend là leur volonté d'opposer une "résistance" pacifique.

"Nous sommes prêts à donner la vie pour défendre la vie", a lancé le "Grand Indien".

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