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Colombie: le retour de l'auteure Pilar Quintana, rescapée d'un enfer conjugal

Le jour où elle a craint pour sa vie, l'écrivaine Pilar Quintana a trouvé l'énergie de fuir son ex-mari violent et la maison qu'ils avaient construite sur la splendide côte sauvage de l'océan Pacifique en Colombie.

Retrouver la voie de l'écriture l'a aidée à surmonter ce cauchemar. Et elle prône désormais un féminisme décomplexé, après avoir longtemps pensé que l'égalité des sexes était acquise.

Ses neuf années dans la jungle constitue la toile de fond de La Perra (La Chienne), son nouveau roman acclamé par la critique comme par le public. Le livre, publié en juillet dernier, en est à sa 5e impression et va être traduit dans plusieurs langues.

Dans sa maison de bois ouverte sur l'océan, près du village de Juanchaco, Pilar Quintana a subi des violences et des abus dont elle n'ose parler que depuis peu.

Pour sauver sa peau, elle a fui ce coin de paradis qui lui manque aujourd'hui.

"Je sens qu'il m'est impossible d'y retourner, que la blessure est béante et La Perra a été ma façon d'aller là-bas", explique à l'AFP l'une des vedettes du Salon international du livre de Bogota, l'un des plus importants d'Amérique latine, prévu du 17 avril au 2 mai.

Dans son roman, Damaris, une femme noire et pauvre proche de la quarantaine, "l'âge auquel les femmes se dessèchent", récupère une petite chienne, à laquelle elle s'attache comme à l'enfant qu'elle n'a pas eu.

- La jungle -

Pilar Quintana, qui il y a une décennie appartenait au "Bogota 39", écrivains latino-américains prometteurs de moins de 40 ans, s'est difficilement remise de son expérience conjugale.

Ses livres antérieurs, dont Coleccionista de polvos raros (Collectionneur de poudres bizarres, 2007), Conspiración Iguana (Conspiration Iguane, 2009) et Caperucita (Le Petit Chaperon Rouge a mangé le loup, 2012), se déroulaient dans l'ambiance urbaine de Cali, sa ville natale.

La nature magnifique du Pacifique, ses vagues puissantes et ses pluies dignes du déluge, la firent se sentir "petite chose minuscule, à la merci des éléments".

Un jour, elle découvre une chienne empoisonnée. Son esprit d'écrivaine se met alors en marche et germe là son roman de 180 pages.

Cherchant à décrire la forêt tropicale, elle s'est tournée vers des classiques tel "Cent ans de solitude". Dans ce chef d'oeuvre de Gabriel Garcia Marquez, la famille Buendia se fraie un chemin à la machette dans la jungle, qui repousse derrière eux.

"Cela semble exagéré, mais c'est ce que je ressentais (...) pour survivre dans la jungle, je devais être agressive comme elle, la machette prête. C'était elle ou moi!"

A Juanchaco avec son mari irlando-australien, ils se sont longtemps éclairés à la bougie et à la lampe à pétrole, puis grâce à un panneau solaire. Beaucoup voyaient leur vie comme paradisiaque et son époux musclé comme Tarzan. Ils en ignoraient le côté obscur.

- Les coups -

"Il m'a d'abord crié dessus. Puis il a commencé à me bousculer, à me poursuivre si je tentais de lui échapper, à m'empoigner et à me jeter contre les murs. Je finissais toujours pas m'excuser car il réussissait à me convaincre que c'était moi qui avait provoqué la dispute, que c'était de ma faute", se souvient-elle.

Un jour, il l'a pendue jusqu'à l'asphyxier. "Il a fallu que j'aie peur de mourir pour comprendre qu'il fallait que je parte, que cet homme était mon ennemi."

Son corps menu en porte encore les marques. Elle n'a pas osé porter plainte, a tout laissé, s'est retrouvée "sans même une petite cuillère".

Ce n'est pas un cas isolé: en 2016, 50.707 cas de violence conjugale ont été répertoriés en Colombie, soit 126 pour 100.000 habitants selon le service de Médecine légale, et 86% des victimes sont des femmes.

L'écrivaine, qui auparavant le dépréciait un peu, a alors "senti que le féminisme était nécessaire". "Et il me semble de plus en plus indispensable!", ajoute-t-elle, précisant que le mouvement #MeToo lui a donné "le courage de parler enfin" dans un article publié récemment.

L'an dernier, Pilar Quintana a vendu sa part du terrain, qui était le dernier lien avec son tortionnaire. Puis ce livre a été une façon de tourner la page de cette étape de sa vie.

"La Perra fait partie du processus, mais c'est de la fiction. La fiction aide à rester sain d'esprit, mais cela ne suffit pas, dit-t-elle. J'ai dû aussi suivre une thérapie, me confronter à mes monstres et les regarder dans les yeux pour guérir."

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