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Combattre le "regard social": un défi pour les aveugles

"Les journalistes peuvent mettre leur bandeau": la Fédération des aveugles de France a choisi de plonger l'auditoire dans le noir pour la présentation mardi d'un calendrier destiné à combattre "le regard social" posé sur le handicap.

"Le regard social pèse d'un poids considérable", a témoigné Pascale Casanova-Franck, la plus grande championne française de ski non voyante française, onze médailles olympiques, quatre titres de championne du monde.

Ce n'est pas dans le ski de compétition qu'elle a le plus souffert de ce regard sur le handicap mais dans son métier de cadre d'une grande entreprise. "J'ai été victime de harcèlement moral de la part de mon chef, qui estimait que je ne pouvais pas faire le travail à cause de mon handicap", raconte celle qui dévalait des pistes de ski à 110 km/h.

Ludovic Petitdemange, chercheur en mathématiques et astronomie, préfère cacher son handicap à l'université où il enseigne, de peur qu'on lui interdise d'exercer. "Je n'ai pas de problème dans mon métier mais je sais que si je dis que je ne vois pas, on risque de me juger incapable d'enseigner", a-t-il expliqué.

"Les métiers sont accessibles, mais les études ne le sont pas", constate ce chercheur au Laboratoire d'étude du rayonnement de la matière en astrophysique. Spécialiste de mathématiques fondamentales, il a les outils numériques dont il a besoin. Mais enfant, en sixième, il avait dû rejoindre une école spécialisée pour aveugles, faute de matériel adapté dans son collège. "L'inclusion scolaire se fait aujourd'hui aux forceps", regrette-t-il.

"La société se prive de talents. Je rêve en France d'un Stephen Hawking", ce physicien britannique souffrant d'une sclérose latérale amyotrophique célèbre pour ses travaux en cosmologie et gravité quantique. "En France, vous aurez beau dire quelque chose d'ultra intelligent, si vous êtes aveugle, on ne vous écoutera pas", dit-il.

- "Que voyez-vous?" -

Pascale Casanova et Ludovic Petitdemange figurent parmi les 12 personnalités malvoyantes du calendrier de la Fédération nationale des aveugles, intitulé "Que voyez-vous?"

"Voyez-vous des personnes tristes, râleuses, pessimistes?", interroge le président de la Fédération des aveugles Vincent Michel. "Pas du tout car chacune d'elles a relevé le défi de vivre sa vie. Alors oui, on a des difficultés quand on est aveugle", lance-t-il. "Mais nous n'allons pas aller sur les ronds-points avec des cannes blanches", ironise-t-il, "on a choisi d'interpeller la société à travers ce calendrier", réalisé depuis 9 ans à l'intention des décideurs.

A fil des pages sont ainsi apostrophés Emmanuel Macron (sur l'application des lois sur le handicap) ou le ministre de l'Éducation Jean-Michel Blanquer ("l'école inclusive n'est pour l'instant qu'un simple slogan").

Dans le passé, certains se sont piqués au jeu, comme Michel Édouard Leclerc qui a engagé un travail sur l'accès au travail des handicapés dans son groupe de distribution après avoir été "interpellé" dans le calendrier en 2018.

"J'attends toujours qu'un ministre de la Culture s'empare de la question de la lecture", déplore le président de la Fédération, lui même grand lecteur. "8% de livres accessibles aux aveugles, cela veut dire 92% qui ne le sont pas, et c'est inacceptable".

La question de l'école dite "inclusive", où les jeunes handicapés suivent un cursus normal, est au cœur du combat des associations. Vincent Michel évoque "les manuels adaptés qui arrivent avec plusieurs mois de retard après la rentrée". Ludovic Petitdemange ne croit pas aux auxiliaires de vie scolaire, qui accompagnent parfois l'enfant aveugle pour la prise de notes en classe. "Cela isole l'élève de ses camarades, ce n'est pas une solution".

Jeudi, l'intersyndicale des Instituts nationaux de jeunes sourds et de jeunes aveugles et les parents d'élèves appellent à un rassemblement devant l'Assemblée nationale pour réclamer une concertation sur les besoins des jeunes élèves handicapés.

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