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Corse: rare suspension d'une juge qui échangeait avec un témoin assisté

"Décision rare", une magistrate, visée par des enquêtes judiciaire et administrative, a été suspendue par le Conseil supérieur de la magistrature: en cause, plus d'un millier d'échanges avec un élu corse placé sous statut de témoin assisté dans une enquête sur des emplois fictifs présumés.

Rose-May Spazzola, présidente de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bastia, a été auditionnée le 27 juin par le Conseil supérieur de la magistrature, qui lui a interdit temporairement d'exercer, le temps de l'enquête administrative, ont indiqué mercredi à l'AFP des sources judiciaires, évoquant une disposition "rare".

La magistrate et son avocat n'ont pas répondu aux sollicitations de l'AFP et sa hiérarchie n'a pas souhaité réagir. Le bâtonnier de Bastia, Me Gilles Antomarchi, a quant à lui fustigé auprès de l'AFP une décision qui "ne respecte pas la présomption d'innocence".

"Toute mesure qui porte atteinte à une personne avant qu'elle ne soit définitivement condamnée par une juridiction porte atteinte à la présomption d'innocence. Ça s'applique à Mme Spazzola comme aux autres justiciables", a regretté l'avocat.

Conséquence directe de cette suspension: à Bastia, le premier président de la cour d'appel François Rachou préside désormais la chambre de l'instruction, et de nombreux dossiers sont renvoyés dans l'attente de l'arrivée d'un magistrat supplémentaire, dont la nomination a été annoncée vendredi.

L'affaire avait éclaté en avril, avec un article du Canard Enchaîné. Selon l'hebdomadaire, le juge d'instruction Thomas Meindl avait appris, dans le cadre d'une enquête sur des emplois fictifs présumés à la collectivité territoriale de Corse entre 2010 et 2015, que l'un des témoins assistés dans ce dossier, l'ex-président du conseil général de Haute-Corse François Orlandi, avait eu entre mars 2018 et février 2019 "1.230 échanges" (appels ou SMS) avec Mme Spazzola.

- "Ambiance à couper au couteau" -

La procureure de la République de Bastia, Caroline Tharot avait alors indiqué à l'AFP qu'une information judiciaire contre X pour violation du secret de l'instruction et recel de violation du secret de l'instruction avait été ouverte avant ces révélations, et dépaysée au mois de mars précédent à Paris. Dans ce volet judiciaire, des perquisitions ont été menées fin mai au domicile de la magistrate, à celui de M. Orlandi et à la cour d'appel de Bastia.

"C’est avec une totale sérénité que j’attends que la justice accomplisse son œuvre", avait alors réagi François Orlandi, assurant n'avoir jamais évoqué de procédures dans ses échanges avec Mme Spazzola, "une magistrate dont l'impartialité et la rigueur sont particulièrement reconnues".

Parallèlement, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a saisi mi-avril l'Inspection générale de la Justice pour mener une enquête administrative sur la juge. Pendant une semaine début juin, une équipe de l'inspection générale a ainsi mené des auditions à Bastia où règne aujourd'hui "une ambiance à couper au couteau" entre les magistrats, selon plusieurs sources.

Considérant qu'il y avait "altération objective de la sérénité du cours de la justice" après la mise en cause de l'impartialité de la magistrate et les réactions qu'elle a suscitées, le procureur général de Bastia Franck Rastoul a demandé début mai le dépaysement de l'ensemble de l'enquête sur les emplois fictifs présumés --une requête à laquelle a accédé la Cour de cassation, qui a confié le dossier à un juge d'instruction parisien.

Cette enquête vise 10 personnes, dont Paul Giacobbi à l'époque où il dirigeait l'exécutif corse, entre mars 2010 et décembre 2015. L'ex-député DVG a été mis en examen en juin 2017 dans ce dossier de détournement de fonds autour d'emplois présumés fictifs qu'il aurait validés et de "dépenses somptuaires injustifiées", selon les mots du parquet de Bastia lors de la mise en examen.

Ce dossier politique d'importance dans l'île intervient après la condamnation en appel en mai 2018 de M. Giacobbi dans l'affaire dite des gîtes ruraux à 3 ans de prison avec sursis, 5 ans d'inéligibilité et 25.000 euros d'amende, pour détournement de fonds publics au préjudice du département de Haute-Corse qu'il a présidé de 1998 à 2010.

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