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Dans l’itinéraire radical de Mustafa S, trois échecs et l’ombre d’un kamikaze

Deux départs ratés vers la Syrie et une "déradicalisation" aux airs de fiasco: l'itinéraire de Mustafa S., jugé lundi à Paris, est marqué par les échecs et l'ombre pesante de son ami Foued Mohamed-Aggad, un des kamikazes du Bataclan.

La première fois, c'était le 17 décembre 2013 au McDonalds de l'aéroport de Francfort, où Mustafa S. a vu débarquer son père et son frère, informés de son projet de départ pour la Syrie, alors qu'il finissait ses burgers, les derniers avant d'embarquer pour la Turquie, avec Foued Mohamed-Aggad.

"Je voulais aller en Syrie pour rejoindre l'Etat islamique et combattre", avoue le jeune homme aujourd'hui âgé de 26 ans, chemise blanche et barbe noire fournie, jugé jusqu'à mardi devant le tribunal correctionnel de Paris, pour association de malfaiteurs terroristes avec deux autres membres de la filière jihadiste dite du Bas-Rhin, Alperen C. (22 ans) et Saïd I. (32 ans).

En décembre 2013, Mustafa est majeur, et personne ne peut l'empêcher de prendre son avion. Son père y va au bluff, se met dans une colère noire. Et ça marche. "Mon fils a eu tellement honte et peur de moi qu'il n'est pas parti", racontera-t-il aux enquêteurs.

Mustafa rentre avec sa famille, laissant Foued s'envoler sans lui. Son ami d'enfance ne reviendra en France que près de deux ans plus tard, pour tuer et se faire exploser au Bataclan le 13 novembre 2015.

Mustafa reconnaît sa chance d'avoir eu une famille si attentionnée: "C'est sûr, sinon je serais parti, je serai plus là. Je leur dis merci aujourd'hui".

Mais il y aura une deuxième fois, très improvisée: en mai 2016, il part, cette fois en voiture, avec Alperen C. et Saïd, avant de rebrousser rapidement chemin à la frontière austro-slovène, l'un d'eux ayant oublié sa carte d'identité.

Mustafa est cette fois moins catégorique sur les motifs, disant comme les autres avoir voulu partir "pour avoir des infos" sur la situation en Syrie. Mais il admet rester à l'époque "un sympathisant de l'EI".

Comment rester partisan de l'EI et vouloir partir en Syrie quelques mois après que le groupe jihadiste a massacré 130 personnes à Paris ? La question trône au centre du procès, et le tribunal n'aura eu de cesse lundi de la poser aux trois prévenus.

- "Intéressant, le zoo" -

"Je ne cautionne pas les attentats", se défend Mustafa sans se départir de son calme, assurant comme les autres que son projet de vie en terre musulmane n'avait aucun lien avec le terrorisme. Et il ajoute : "Je ne vois pas pourquoi on fait le lien avec moi, en fait".

Faute d'avoir réussi à rejoindre la Syrie, personne ne sait si Mustafa, qui ne cache pas sa conception rigoriste de l'islam, aurait versé dans le jihadisme comme Foued Mohamed-Aggad, dont l'ombre n'en finit pas de planer sur le procès.

"Mon client n'est pas comptable de ce qu'a fait Foued Mohamed-Aggad", souligne alors son avocat, Me Martin Desrues.

Après sa deuxième tentative ratée, Mustafa est interrogé par les services de renseignement, mais laissé libre. En septembre 2016, il entre au centre de "déradicalisation" de Pontourny (Indre-et Loire) promu par le gouvernement. Un programme volontaire, qui fermera l'été suivant faute de résultats.

Mustafa y restera quatre mois, jusqu'à son arrestation en janvier 2017 à la suite d'écoutes jugées confondantes sur sa radicalisation.

Il sera donc aux premières loges du fiasco du centre, où les rapports avec le directeur sont tendus. "Devant vous, Mustafa peut être doux comme un agneau. Il écoute, mais il n'imprime pas, cela n'a aucune influence sur lui", dira ce dernier aux enquêteurs, en l'accusant de faire du prosélytisme radical après des autres pensionnaires.

"Ça se passait mal avec le directeur. C'est un menteur, il veut me faire passer pour ce que je ne suis pas", répond Mustafa. "Son centre était un échec, et il a voulu me mettre ça sur le dos. C'était n'importe quoi, les éducateurs ne savaient pas quoi nous faire faire, ils nous emmenaient visiter des châteaux, au zoo...".

Son avocat en remet une couche: "C'est intéressant, ça le zoo, pour la déradicalisation !".

Le jugement est attendu mardi soir.

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