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Des acteurs de la lutte contre la traite des êtres humains se prêtent au jeu

Ils sont enquêteurs, magistrats, avocats, associatifs ou comédiens: début juillet, ils ont participé à un "jeu sérieux" communément appelé +serious game+, une formation inédite pour renforcer la lutte contre le fléau de la traite des êtres humains.

Des décors décrits comme "très réalistes", avec campement, bar ou foyer pour mineurs plantés au fort de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) où se trouve le Centre national de formation à la police judiciaire de la Gendarmerie nationale.

Deux scénarios pour autant d'enquêtes à traiter par les stagiaires en quasi temps réel, l'un d'exploitation sexuelle de jeunes femmes venues du Nigeria, l'autre de travail forcé de mineurs. Le tout inspiré de faits réels.

Pendant une petite semaine, 45 stagiaires, des magistrats, avocats du barreau de Paris, gendarmes et policiers, associatifs et membres de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ont été plongés dans le quotidien des professionnels de la lutte contre la traite des êtres humains. Tous ne sont pas des spécialistes du sujet. L'Ecole nationale de la magistrature (ENM) leur a concocté ce modèle de formation inédit.

"Les gens retiennent davantage lorsqu'ils expérimentent, que lorsqu'ils écoutent", fait valoir Fanny Bussac, référente pédagogique de la formation et magistrate.

"Ils ont tout fait pour qu'on s'approche au plus près de la réalité. Il y avait de la tension. On s'y croyait", avance un enquêteur de la section de recherches (SR) de Lille. "Sur le terrain, je pourrais revivre une situation comme ça", abonde cet officier de gendarmerie.

Lors de la formation, le "réalisme" des dossiers a été accentué par la présence de comédiens dont d'ex-prostituées nigérianes qui ont joué leur propre rôle de victimes de l'exploitation sexuelle. Selon la police judiciaire, les filières de prostitution nigériane sont parmi les mieux implantées dans l'Hexagone.

"Le gros intérêt est aussi de se rendre compte que derrière la délinquance de masse que l'on traite, il y a parfois des auteurs qui sont contraints par des organisations liées à d'autres organisations mafieuses", observe Marie-Claire Noiriel, magistrate au parquet de Bobigny qui croise rarement de tels dossiers dans son contentieux quotidien pourtant bien chargé.

- "Garder la confiance des victimes" -

La formation a aussi été l'occasion de découvrir le travail de l'autre. "C'est bien joli d'arrêter le proxénète mais si les filles restent à la rue! Il faut donc avoir une vision plus poussée et également travailler sur les solutions d'hébergement avec les associations. On n'imagine pas spontanément toutes ces réalités", poursuit Mme Noiriel.

"Les enquêteurs peuvent aussi avoir un vrai rôle dans l'accompagnement. Idem pour les avocats", relève Annabel Canzian, juriste au Comité contre l'esclavage moderne.

"C'est important de mieux connaître la réalité des uns et des autres mais ce n'est pas un monde de bisounours. Les autres acteurs ont pu comprendre pourquoi on est parfois réfractaire à parler pour garder la confiance des victimes. On peut perdre tout le travail d'une année en discutant quelques secondes avec des enquêteurs", glisse Mme Canzian.

"Ce sont des gens qui ont des cultures professionnelles différentes, parfois défiants les uns des autres", résume Fanny Bussac.

"On a obligé les gens à interagir en leur donnant une pièce du puzzle. Ils ne pouvaient pas réussir s'ils ne se parlaient pas. Le but de l'exercice n'était pas de regarder ce que font les autres mais de comprendre ce que l'autre peut apporter", avance la magistrate.

Pour Mme Bussac, cet original premier +serious game+ est "un succès" et pourrait en appeler d'autres en dépit des moyens importants qu'il nécessite. En 2019, ses organisateurs avaient eu l'heureuse surprise d'être financé à hauteur de 50.000 euros par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc). Des fonds confisqués à un réseau de proxénétisme.

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