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Deux décennies après, la menace de la secte Aum persiste au Japon

Vingt-trois ans après une attaque au gaz sarin qui avait semé la terreur dans le métro de Tokyo, des sectes ont pris le relais d'Aum Vérité Suprême et continuent d'attirer des fidèles au Japon, une influence qui inquiète les autorités.

Le volet judiciaire de l'affaire désormais clos, les spéculations grandissent sur une exécution imminente du gourou Shoko Asahara qui attend dans le couloir de la mort, aux côtés de 12 de ses disciples, pour cet attentat qui avait fait 13 morts et plus de 6.000 blessés le 20 mars 1995.

Mais la secte Aum, fondée en 1984 et mélangeant des préceptes bouddhistes et hindouistes sur fond de visions d'apocalypse, a toujours une existence légale dans un pays qui a une longue tradition de fractionnalisme religieux.

Rebaptisée Aleph, première lettre de l'alphabet hébreu, elle s'est officiellement démarquée de son ancien gourou en 2000. En réalité, son influence reste grande, affirment les services de renseignement japonais.

Aleph "enjoint fermement à ses disciples de considérer Asahara comme un être suprême", décrit un enquêteur sous couvert d'anonymat. "Si quelqu'un disait +le gourou Asahara veut démolir le Japon+, des disciples passeraient à l'acte", assure-t-il, s'inquiétant du "danger potentiel" posé par la secte.

Des enregistrements des préceptes du "maître" ont été découverts dans des sites de la secte lors de perquisitions, de même que des casques spéciaux appelés "Perfect Salvation Initiation", munis d'électrodes censées diffuser ses ondes cérébrales.

- 'Champ de bataille' -

Aleph et d'autres groupes dissidents, qui nient tout lien avec Asahara, comptent 1.650 membres au Japon et des centaines d'autres en Russie.

Ils attirent chaque année, en occultant leur identité, environ 100 personnes en organisant des classes de yoga, de divination et d'autres activités anodines. Leur cible préférée: les jeunes, qui n'ont pas de souvenir de la meurtrière attaque de 1995.

"Les jeunes femmes se rendent à des sessions d'entraînement avec leurs enfants", raconte l'enquêteur. "Nous craignons qu'un nombre accru d'enfants soient sous l'emprise d'Aum".

Shoko Asahara a eu quatre filles et deux garçons avec sa femme Tomoko, qui lui restent pour la plupart dévoués.

Une de ses filles a cependant quitté la secte en 2006 à l'âge de 16 ans, et a livré un récit d'horreur de ses années sous la coupe d'Aum. Elle dit par exemple avoir été forcée à manger de la nourriture contenant des tessons de céramique, ou à rester dans le froid quasiment nue.

"C'était un environnement impensable dans un Japon moderne. J'avais peur d'être tuée si je me rebellais, j'étais constamment tendue", a-t-elle confié dans un communiqué publié l'an dernier, sans révéler son nom. "C'est comme si j'avais vécu sur un champ de bataille pendant 16 ans".

"J'espère vraiment qu'aucun autre enfant ne grandira dans les groupes qui ont pris la suite d'Aum", insistait-elle.

- Un nouveau gourou ? -

Les enquêteurs, qui exercent une surveillance étroite de ces sectes, étaient à leur poste début mars, jour du 63e anniversaire d'Asahara.

"Nous ne célébrons en aucune manière cette date", a alors assuré à l'AFP Akitoshi Hirosue, directeur adjoint de la secte Hikarinowa (The Circle of Rainbow Light - Le Cercle de lumière), rencontré dans les locaux du groupe situés dans un quartier tranquille de Tokyo. "Nous pensons même qu'Asahara doit être exécuté".

Hikarinowa a été créé en 2007 à l'initiative de l'ancien flamboyant parole-parole d'Aum, Fumihiro Joyu, désireux de rompre avec le passé meurtrier de la secte, et réunit aujourd'hui 100 à 150 membres.

"Tant qu'il n'a pas été exécuté, Asahara est vu comme +un sauveur épargné+', ce qui aide Aleph à attirer des disciples", a récemment jugé M. Joyu.

Aleph n'a pas répondu aux requêtes de l'AFP.

Taro Takimoto, un avocat qui travaille avec des proches de disciples depuis des décennies, est lui aussi favorable à la peine capitale pour le gourou mais pas pour ses 12 compagnons, qui étaient totalement endoctrinés selon lui.

"Asahara était plus qu'un Dieu pour eux", dit-il.

"Nous devrions les faire parler (de leur expérience) jusqu'à ce qu'ils meurent d'une mort naturelle afin d'empêcher que ne se répète" une telle tragédie, estime-t-il plutôt. Si on les exécute, on en fera des "martyrs", avertit-il.

La mort du gourou refermera un douloureux chapitre pour les Japonais, mais elle pourrait entraîner une vague de suicides parmi ses fidèles et conduire à la désignation d'un successeur, ajoute l'avocat.

"Si son second fils, lorsqu'il sera en possession de ses cendres, se déclare gourou, il sera crédité d'une autorité religieuse solide", ouvrant alors une nouvelle page, prédit-il.

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