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Deux villes, une frontière, et au milieu coule le Rio Grande

Emmitouflée dans sa doudoune, Nubia Almaguer marche d'un pas vif dans le froid matinal. La jeune Mexicaine est venue au Texas acheter des vêtements pour ses filles, après quoi elle regagnera sa ville de Nuevo Laredo, de l'autre côté de la frontière.

Comme Nubia, des milliers de personnes passent tous les jours, en voiture ou à pied, entre les villes jumelles de Laredo, dans le grand Etat du Sud des Etats-Unis, et de Nuevo Laredo, dans l'Etat mexicain de Tamaulipas.

Ainsi Veronica Echevarria. Elle a beau être citoyenne américaine, elle vit à Nuevo Laredo où se trouvent ses parents, et traverse quotidiennement l'un des ponts au-dessus du Rio Grande --quelques minutes quand il n'y a pas foule-- pour venir travailler dans une boutique de vêtements.

Adrian Torres, lui aussi un Américain, a "la chance de pouvoir se permettre d'habiter dans les deux Laredos". Sa femme, qui vit au Mexique et n'a pas de permis de séjour aux Etats-Unis, pourrait obtenir les papiers, mais "certaines personnes n'aiment pas" la paperasse, sourit-il.

Quant à Irma Ochoa, 63 ans, elle a un immuable rituel: tous les dimanches, elle emprunte le pont piéton, va à la messe à la cathédrale San Agustin de Laredo puis "retrouve (ses) copines pour le déjeuner". Une sortie comme une autre, même si elle implique de passer deux postes-frontières.

- Etroite relation -

Les deux villes "ont une connexion très forte", dit à l'AFP le maire de Laredo, l'indépendant Pete Saenz. "Nous sommes connectés au niveau économique, culturel, social", ajoute-t-il, rappelant que sa ville est à plus de 95% hispanique et que plus de 200 milliards de dollars de marchandises y transitent chaque année par camion depuis le Mexique.

Des liens évidents dès l'arrivée à Laredo. Dans la rue comme dans les restaurants ou les conversations privées, l'espagnol domine, et une Vierge de Guadalupe, vénérée au Mexique, trône dans la cathédrale où la messe est dite en anglais puis en espagnol.

Les habitants de Laredo vont eux aussi de l'autre côté, parfois pour rendre visite à leur famille restée là-bas --moins qu'avant toutefois en raison de l'insécurité à Nuevo Laredo--, parfois pour tout simplement acheter "des tomates et des oignons" moins cher, raconte Veronica Echevarria.

D'autres vont même chez le médecin au Mexique, beaucoup moins onéreux qu'aux Etats-Unis.

Le débat sur l'immigration qui agite le pays depuis l'élection de Donald Trump n'est toutefois pas sans avoir laissé de traces ici.

- Incertitude -

La rhétorique incendiaire du président américain sur les migrants et les Latinos "a créé de l'incertitude pour les piétons et les véhicules non commerciaux (venant du Mexique), pour les familles qui viennent aux Etats-Unis pour faire leurs courses dans nos magasins et centres commerciaux", affirme le maire de Laredo.

M. Saenz ne soutient pas le projet phare de Donald Trump d'une barrière infranchissable avec le Mexique. "Nous n'avons pas besoin d'un mur physique, nous sommes pour un mur virtuel qui serait fait de davantage de technologie, de personnel", dit-il.

Laredo est connue pour ses magasins d'usine installés dans un énorme centre commercial faisant face au poste-frontière mexicain.

Les plus petits magasins du centre-ville, eux, souffrent, et plusieurs d'entre eux ont baissé leur rideau.

En cause notamment, selon plusieurs commerçants, la baisse du peso mexicain face au dollar.

Nubia Almaguer, 33 ans, qui a un visa lui permettant de se rendre à Laredo et alentour mais pas de pousser plus avant, explique aussi qu'elle essaie désormais d'acheter mexicain.

"En ce moment nous avons un gouvernement de transition et il faut l'appuyer", dit-elle en allusion à l'arrivée au pouvoir le 1er décembre d'Andrés Manuel Lopez Obrador. Aussi tente-t-elle de se limiter aux "petites choses qu'il n'y a pas dans (son) pays".

"Je comprends" cette attitude, lâche, amer, un commerçant américain qui préfère rester anonyme et dont la boutique se meurt. Après tout, "n'est-ce pas ce que Trump essaie de faire de ce côté-ci?".

A la simple évocation du nom de Trump, le visage de Leonides Ibañez s'assombrit.

Pour cette élégante dame de 66 ans, qui a une boutique de tee-shirts, si "les ventes sont très basses", c'est sans aucun doute parce que le président "dénigre" les Latinos qu'il assimile à l'immigration clandestine.

"Un mur, c'est un pas en arrière, qui va nous affecter économiquement, socialement, moralement, et surtout nous frapper au portefeuille", dit-elle avec émotion.

Venue il y a 30 ans de Puebla, au Mexique, elle trouve inconcevable de fermer la porte aux migrants. De toutes les manières, "quand il s'agit de nourriture, nous allons à sa recherche quel qu'en soit le prix, mur ou pas mur", lance-t-elle.

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