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Douloureux retour à la vie pour des Pakistanais évacués de la Ghouta

Pas de pain, de gaz, d'eau, de soins, la mort omniprésente... évacué il y a trois semaines de l'enclave rebelle dans la Ghouta orientale en Syrie, où ses enfants et petits-enfants sont restés, le Pakistanais Mohammad Fadhl Akram peine à se remettre de cinq ans de siège.

"Je suis tellement traumatisé que quand une moto passe dans la rue, je pense à un avion de chasse. Et quand une porte claque, je crois à une bombe", se désole-t-il depuis la maison de son neveu à Gihal Zer, dans l'est du Pakistan.

Agé de 73 ans, Mohammad Fadhl Akram, est arrivé un peu par hasard en 1974 en Syrie, où il s'est établi faute d'avoir pu poursuivre un périple en Irak. Soudeur de métier, il a épousé Rabah, une Syrienne, dans la Ghouta, où il a construit sa vie.

Rabah lui a donné six enfants, qui l'ont fait dix fois grand-père. Il a aussi pris pour seconde épouse une cousine pakistanaise, qu'il a installée en Syrie.

"La Syrie était mon pays, mon Pakistan", lance le vieil homme tout de blanc vêtu.

Un pays qu'il décrit comme un Eden, malgré les multiples exactions commises par les régimes autoritaires d'Hafez puis de Bachar el-Assad. "On n'entendait rien à ce sujet", affirme-t-il.

Le printemps arabe, qui accouche de manifestations réprimées dans le sang en Syrie en 2011, "ne (l') inquiète pas". L'arrivée de militants étrangers dans la Ghouta, venant selon lui d'Irak ou du Kurdistan irakien, change pourtant la donne.

Deux de ses fils s'enrôlent dans un groupe armé. Un troisième est tué en 2013. Leur mère "n'a pas pu le supporter. Elle a fait une crise cardiaque" et en est morte, raconte-t-il, tout en montrant le passeport bleu de Rabah.

- Blessés et cadavres -

La violence s'accentue progressivement. Les roquettes pleuvent. "Les groupes armés se battaient les uns les autres, se souvient-il. On ne savait pas qui nous tuait, ou pas. Une chose qu'on savait, c'est qu'ils détruisaient notre ville."

En 2015, Mohammad Fadhl Akram et sa famille tentent de fuir. "Les groupes armés nous ont d'abord tiré dessus, puis les forces gouvernementales. On ne pouvait pas sortir."

Prisonnier de l'enclave, il assiste à l'anéantissement progressif de sa population. Blessés et cadavres deviennent monnaie courante. La vision d'une jeune fille "amputée des bras et des jambes" le hante toujours.

La suite est faite de privations, d'une solidarité de voisinage qui se délite. "Il n'y avait pas de nourriture. Nous devions manger des feuilles et de l'herbe", dit-il. Brûler des déchets permet de se chauffer. L'eau manque.

Son opération de l'appendicite, réalisée "sans anesthésie" dans un dispensaire de fortune, s'infecte mais il guérit "sans médicament", narre-t-il tout en montrant la cicatrice.

Le dernier mois, marqué par l'assaut gouvernemental et par un déferlement de bombes, vire à l'enfer. Le déluge de feu a tué plus de 1.600 civils depuis le 18 février. Plus de 107.000 personnes ont fui depuis, dont beaucoup via des corridors ouverts par les forces syriennes.

- 'Mourir' -

"A un moment, je me suis dit qu'on devait bien mourir un jour. Je me suis sentie mieux", observe Saghran Bibi, sa seconde épouse, évacuée avec lui.

L'ambassade pakistanaise à Damas, avertie tardivement, se démène pour faire sortir le couple, en accord avec le régime syrien. Le 1er mars, Mohammad et Saghran sont les premiers résidents de la Ghouta à la quitter, à la faveur d'une "pause humanitaire" de cinq heures annoncée par la Russie. Mais leur famille ne peut les suivre, faute d'autorisation des autorités syriennes.

Saghran Bibi raconte l'angoissant trajet, check-point après check-point, les avions rugissant dans le ciel : "Je pensais que nous n'en sortirions pas vivants". Mohammad, lui, se remémore sa "tristesse". "Je laissais derrière moi quarante ans de travail, ma maison, mes petits-enfants."

Trois semaines plus tard, le couple émerge difficilement de son calvaire. Mohammad affiche un sourire fragile. Saghran, trop affaiblie par les privations, a d'abord eu beaucoup de mal à s'alimenter. Jeune sexagénaire, elle marche difficilement.

"Ils sont détruits de l'intérieur", soupire leur neveu Mohammad Arfan, un entrepreneur de 32 ans, qui les a recueillis. Durant ses trois premiers jours au Pakistan, son oncle "n'a fait que pleurer ses enfants", observe-t-il.

Il y a une semaine, Mohammad Akram a pu téléphoner à l'un de ses fils en Syrie. "Il lui a dit : +on est dans la pire des situations. Bientôt on ne pourra plus te parler+", se désole le neveu. Depuis lors, plus aucune nouvelle. Après l'horreur de la violence est venue celle de l'attente.

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