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Droit d'asile: les avocats s'insurgent contre les "vidéo-audiences"

Écrans et micros sont prêts mais les avocats refusent de les utiliser: à Lyon et Nancy, un vent de fronde souffle contre les "vidéo-audiences" imposées pour plaider, à distance, les recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

Ce dispositif est prévu par la loi depuis 2011 mais il nécessitait jusqu'alors, en France métropolitaine, le consentement du requérant.

En cas de refus, un demandeur d'asile débouté par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) avait la garantie d'une audience d'appel dans les locaux de la CNDA à Montreuil (Seine-Saint-Denis), où quelque 320 juges de l'asile ont rendu plus de 47.000 décisions l'an dernier.

La loi du 10 septembre 2018 a fait sauter ce verrou et généralisé à l'Hexagone la possibilité de recourir aux "vidéo-audiences", introduites à partir de 2015 dans les départements d'outre-mer.

Et depuis le 1er janvier, à titre expérimental, elles sont devenues "obligatoires" dans les ressorts des tribunaux administratifs de Lyon, Nancy et Strasbourg, qui représentent 10% des audiences.

Cette décision de la CNDA, prise le 17 décembre sans concertation avec les barreaux locaux, est vécue comme un "passage en force". Le bâtonnier lyonnais, Farid Hamel, et son homologue nancéien, Frédéric Berna, refusent de communiquer une liste d'avocats pour assurer le déroulement de ces audiences, rémunérées dans le cadre de l'aide juridictionnelle.

"On prépare une justice d'abattage. Cette réforme est faite pour liquider le stock de dossiers de la Cour, en faisant passer la durée moyenne des audiences d'une heure et demie à 20 minutes", estime le premier.

"C'est une déshumanisation absolue de la relation entre les justiciables et leurs juges, dans des dossiers où le facteur humain est essentiel (...) La qualité de la justice, on s'en fout, ce qu'on veut c'est qu'elle coûte moins cher", abonde le second.

- "Pas à un voyage près" -

A Montreuil, l'objectif affiché est "d'éviter au requérant d'avoir à se déplacer" en région parisienne, où résident moins de la moitié des demandeurs d'asile, souligne-t-on.

"C'est un dispositif qui fonctionne bien avec l'outre-mer, où l'on a pu réduire de façon significative les délais de jugement par rapport à la métropole et où l'on ne rencontre pas de difficultés", ajoute Philippe Caillol, secrétaire général de la CNDA.

"Des gens qui ont traversé l'Afrique et la Méditerranée ne sont pas à un voyage près sur Paris", répond Nicole Smolski, de l'association lyonnaise Médecine et droit d'asile qui soutient le mouvement de contestation.

Ses membres reçoivent les déboutés de l'Ofpra pour attester, auprès de la CNDA, de leurs éventuels traumatismes. Un travail de "dévoilement" qui nécessite le "face-à-face", souligne le docteur Joseph Biot, pour qui les juges ne peuvent pas non plus faire l'économie du contact humain pour se forger une intime conviction.

Le Conseil national des barreaux s'est aussi prononcé contre le dispositif - validé par le Conseil constitutionnel - et un recours a été engagé devant le Conseil d'État au nom de la "rupture d'égalité" entre les requérants et de leur "droit à la dignité".

A Lyon comme à Nancy, les barreaux réclament des audiences "foraines": que les juges se déplacent en province. La loi le prévoit aussi mais c'est "assez compliqué" à mettre en œuvre, répond la CNDA. "On nous a dit surtout que c'était trop cher", indique l'avocat lyonnais Morade Zouine.

Dans les deux cours administratives d'appel, les salles de "vidéo-audience" ont été équipées, "avec du matériel tout neuf", souligne-t-on en Meurthe-et-Moselle. Dans le Rhône, le retard pris depuis janvier "a permis de répondre aux demandes d'améliorations techniques", assure-t-on. L'installation de la caméra a été modifiée et la barre élargie pour permettre d'accueillir une famille complète.

Mais après plusieurs renvois, l'incertitude demeure. Des dates sont évoquées courant mars... à la condition de trouver des avocats. La CNDA assure avoir des volontaires à Nancy, tandis qu'à Lyon le barreau dénonce une politique de "démarchage": un de ses membres a décliné quatre dossiers qu'on lui proposait pendant une matinée. Une "erreur" administrative, aux dires de la CNDA.

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