Accueil Actu

Du désert au master, le calvaire d'un Ghanéen qui veut décourager l'émigration

Pour beaucoup de migrants, Ousman Umar, titulaire d'un master après avoir survécu à son périple vers l'Espagne, pourrait être un modèle. Mais ce Ghanéen tente aujourd'hui avec son ONG de les dissuader d'entreprendre la dangereuse traversée.

"Moi qui suis passé de l'analphabétisme à un master, j'ai gagné au loto", dit à l'AFP ce trentenaire à Badalona, près de Barcelone. Mais "je fais partie des 0,01%. 95% meurent sur le chemin et parmi ceux qui réussissent, seulement 1% arrivent à s'intégrer à la vie européenne", met-il en garde.

Fondateur de l'ONG Nasco Feeding Minds, qui promeut l'éducation des jeunes au Ghana dont il est parti à l'âge de 13 ans, Ousman Umar vient de lancer un projet avec l'ONG espagnole de secouristes Proactiva Open Arms afin de dissuader ses compatriotes d'entreprendre un voyage si dangereux.

"Aujourd'hui, je ne le referais pas, c'est trop dur", dit-il, en regardant la mer Méditerranée où ont péri de nombreux migrants partageant le même rêve que lui.

"C'est quelque chose que je n'oublierai jamais. Et c'est pour cela que je veux que personne ne vive ce que j'ai vécu", insiste-t-il, son large sourire s'éteignant à l'évocation de son périple vers l'Europe, un calvaire qui aura duré autour de cinq ans au total.

- Sans eau dans le désert -

Ousman Umar pense que la mort le poursuit depuis sa naissance dans le hameau de Fiaso, dans la forêt tropicale ghanéenne, sa mère étant décédée lors de l'accouchement. Un malheur synonyme dans sa culture d'enfant "maudit", destiné à mourir, dit-il.

Son père était marabout. Ousman ne suit pas la même voie, mais doit partir à neuf ans vivre chez un oncle qui lui enseigne le métier de soudeur.

A 13 ans, il décide de partir pour l'Europe mais est abandonné, avec 45 autres personnes, par ses passeurs en plein milieu du Sahara. Il marche alors dans le désert pendant 21 jours, presque sans eau et est contraint de boire son urine. Nombre de ses compagnons de voyage meurent et seuls six d'entre eux finissent par arriver en Libye.

"La tombe la plus profonde n'est pas la mer mais le désert", juge-t-il.

Il travaille ensuite plusieurs années en Libye, où il subit des mauvais traitements, afin de se payer le voyage jusqu'en Mauritanie d'où il entreprend la traversée vers les Canaries.

Dans un canot bondé, Ousman finit par toucher enfin la "terre promise", l'île de Fuerteventura, mais il perd dans la traversée son ami Musa, dont l'embarcation sombre.

"Je me suis promis alors que je ne remettrai jamais les pieds dans l'eau. Ce fut une angoisse totale, je ne sais pas nager et j'ai cru mourir à chaque instant", dit-il.

Après un mois dans un centre de rétention, il est envoyé à Barcelone, une ville où il avait toujours voulu vivre après avoir vu, enfant, un match du Barça à la télévision.

- Renaissance -

Il y passe un mois dans la rue jusqu'à ce qu'un couple avec trois enfants le recueille. "Ce jour là a été une renaissance", affirme-t-il, treize ans plus tard.

Il apprend le catalan et l'espagnol, poursuit des études à l'issue desquelles il va bientôt décrocher un master en coopération internationale à la prestigieuse école de commerce Esade. Tout cela en travaillant dans un atelier de vélos pour payer ses études et celles de son frère Banasco, resté au Ghana, où il gère l'ONG d'Ousman.

Fondée en 2012, Nasco a pour but de former les élèves d'écoles rurales aux nouvelles technologies afin qu'ils ne se sentent pas obligés de quitter leur pays.

Et aujourd'hui, pour les sensibiliser aux dangers de l'émigration, Ousman Umar collabore avec Proactiva Open Arms, ONG qui a sauvé en trois ans près de 60.000 migrants naufragés en Méditerranée.

Ensemble, ils vont envoyer dans les écoles soutenues par Nasco, dans lesquelles 11.000 élèves sont déjà passés, des Ghanéens secourus par Proactiva afin qu'ils racontent leur dure expérience.

"Nous voulons leur expliquer avant qu'ils ne partent ce qui les attend dans ce long voyage (...) Ousman dit qu'il a gagné au loto. Mais au loto, si tu ne gagnes pas, il ne t'arrive rien. Là, c'est plutôt la roulette russe", explique le fondateur de Proactiva, Oscar Camps.

À lire aussi

Sélectionné pour vous