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Du Salvador au Texas, le parcours labyrinthique d'une demandeuse d'asile

Exactement 146 jours après avoir quitté son foyer au Salvador, Yolanda espère obtenir d'un tribunal au Texas de pouvoir retrouver sa fille de 19 ans et son petit-fils de 13 mois dont elle a été séparée après avoir franchi la frontière sud des Etats-Unis.

Cette petite femme de 46 ans, qui parle à voix basse à l'AFP et préfère taire son nom de famille, fait partie des milliers de migrants d'Amérique centrale ayant demandé asile aux Etats-Unis et contraints d'attendre au Mexique leur comparution devant un juge américain.

Fuyant violence et pauvreté dans son pays, elle se débat désormais dans un système d'immigration américain tellement opaque et dysfonctionnel que, souvent, même les avocats sont à la peine.

Elle s'est rendue aux garde-frontières américains à El Paso voilà 59 jours et, trois jours plus tard, elle obtenait sa date de comparution. Le jour est enfin venu: elle fait face au juge Nathan L. Herbert, ancien avocat affecté depuis moins d'un an à l'immigration.

Yolanda lui confie avoir reçu des menaces de mort, tout comme sa fille Daniela, pour avoir aidé dans son pays à la capture d'un membre de gang.

"Nous sommes venues en famille mais elle a 19 ans et un bébé, elle a été considérée comme une adulte", raconte-t-elle, grâce à un interprète. "Ils nous ont donc séparées".

La fille a rejoint un proche aux Etats-Unis tandis que la mère a intégré le programme Migrant Protection Protocols -surnommé "Reste au Mexique"-, nouveau dispositif destiné à dissuader les candidats à l'immigration.

Après neuf jours dans un centre de rétention, Yolanda a été envoyée à Ciudad Juarez, côté mexicain.

Quelque 19.000 demandeurs d'asile attendent dans des villes frontalières qu'arrive la date de leur audience côté américain. Dont au moins 5.000 à Ciudad Juarez.

- Refuges surpeuplés -

Yolanda a patienté dans le refuge "El Buen Pastor", géré par une église méthodiste et dont la directrice précise qu'il a été conçu pour 60 personnes mais en accueille à présent 120.

"Nous ne pouvons pas les laisser à la rue", explique Marta Esquivel.

Quand le jour de retraverser la frontière arrive enfin, Yolanda fait le trajet en compagnie de son compatriote Oswaldo, 24 ans.

Elle en profite pour appeler Daniela, qui est dans tous ses états.

Son fils Matias a contracté une fièvre pendant leur rétention dans un centre surnommé "La Hielera" (la glacière) par les migrants et pour lequel un organisme de supervision du ministère de la Sécurité intérieure a recommandé des "actions immédiates pour atténuer la dangereuse surpopulation".

Après avoir retrouvé la liberté, Daniela et Matias se sont envolés pour la Californie mais le pilote a posé l'avion en urgence à Denver (Colorado) à cause de l'état du garçonnet. Il y a passé deux semaines à l'hôpital.

"Il va mieux mais maintenant nous devons payer l'hôpital", se désole Daniela.

En larmes, sa mère lui dit craindre d'être à nouveau enfermée après l'audience: "Si tu m'appelles et que mon téléphone semble éteint, c'est que je suis bouclée".

Peu avant 09H00, le pont Paso del Norte grouille de monde lorsque Yolanda et Oswaldo rejoignent d'autres migrants convoqués devant le tribunal fédéral. Ils sont 28, dont plusieurs enfants.

Accompagnés d'avocats bénévoles, ils sont fouillés par des agents de la police migratoire et leurs empreintes sont relevées, avant de s'engouffrer dans des fourgonnettes.

Puis l'attente recommence, sous la lumière crue des néons se réfléchissant sur le carrelage et les murs gris. Silence complet. Les gardiens distribuent à chacun un sandwich, des chips et une bouteille d'eau.

- Sans retour -

Les avocats, dont deux venus de Seattle -à plus de 2.000 km- pour prêter main forte à leurs collègues locaux submergés, refont leur apparition. Trop peu de temps pour une assistance individualisée, l'avocate Taylor Levy s'adresse donc au groupe.

"Vous pouvez demander à être extradés et repartir en avion chez vous", dit-elle.

Aucun volontaire.

Yolanda, l'une des dernières à passer devant le juge ce jour-là, lui parle des menaces de mort, de sa fille, de son petit-fils.

"D'après ce que vous m'avez dit, vous êtes admissible pour obtenir l'asile", déclare le juge, qui lui demande si elle a été victime d'un crime ou a été maltraitée sur le sol américain.

"Oui, je me suis rendue (à la police des frontières, NDLR). Lorsque vous êtes un migrant, on vous traite comme un animal", répond-elle.

Le juge grimace.

Elle confie aussi avoir peur de retourner au Mexique. Elle va pouvoir, lui explique le magistrat, discuter par téléphone avec un agent des services migratoires pour en donner les raisons.

A cet agent, elle raconte que des hommes brandissant des armes automatiques ont fait irruption dans son premier refuge à Ciudad Juarez. Ils ont traîné dehors deux migrants et les ont tabassés, les accusant d'être des passeurs empiétant sur leur territoire.

"Ils ont tenu la pasteure en joue et ont mis un sac en plastique sur la tête de sa fille", se souvient Yolanda, toute tremblante.

Ciudad Juarez, important point de passage pour le trafic de drogues, est l'une des villes mexicaines les plus violentes avec 1.247 meurtres en 2018.

Mais l'agent, sceptique, renvoie Yolanda au Mexique. Son document d'identité salvadorien sera conservé par les autorités américaines jusqu'à la prochaine audience... dans 47 jours.

"Je suis très déçue. Ils ne nous laissent aucune chance", se désole-t-elle.

Elle doit maintenant remplir le formulaire d'asile de treize pages I-589. En trois exemplaires. En anglais.

Chaque document du dossier doit être imprimé, les entretiens audio traduits et retranscrits, et le tout présenté à la prochaine audience.

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