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En Inde, Varanasi, ville sacrée et vitrine des nationalistes hindous

À l'ombre d'une muraille de temples, une foule disparate de pèlerins au crâne glabre, mendiants, ascètes hindous à longue barbe, vaches errantes et processions funéraires s'affaire par une torpeur de fin d'après-midi sur les ghats, ces escaliers tombant dans le Gange.

À Varanasi (Bénarès), le temps semble figé dans un siècle indéterminable. Cette cité parmi les plus anciennes du monde, que visite lundi le président français Emmanuel Macron, est l'un des lieux les plus sacrés du nord de l'Inde - mais aussi une vitrine des nationalistes hindous du Premier ministre Narendra Modi, qui tentent d'en accaparer l'aura.

Dans un choix jouant sur la symbolique religieuse du lieu, c'est à Varanasi que Narendra Modi s'était présenté en 2014 à l'occasion des élections qui l'ont propulsé au pouvoir. Et c'est cette même ville qu'il entend faire entrer dans la modernité en l'érigeant en emblème de son programme "smart cities", censé créer les métropoles vertes et connectées de l'Inde de demain.

"L'avantage des symboles, c'est qu'ils permettent de ne pas avoir à en parler. Auparavant, le Bharatiya Janata Party (BJP) tenait un discours ouvertement nationaliste et religieux, ce qui l'exposait à toutes sortes de critiques", explique Gilles Verniers, professeur à l'université Ashoka.

"Choisir Varanasi comme ville-pilote du développement permet de parler à sa base (électorale hindoue, ndlr) tout en concentrant le discours sur des thèmes beaucoup plus généraux".

- Chaotique -

À l'heure actuelle, Varanasi reste pourtant fidèle à sa réputation: délabrée, chaotique et saturée. Dans les bouchons, les vélo-taxis et motos esquissent un délicat ballet autour de bovins se promenant en toute liberté. Les habitants ne recensent qu'une poignée d'améliorations visibles, comme l'enfouissement de lignes électriques ou certains aménagements de voies.

"Durant les vingt dernières années, rien n'a changé dans ces rues", lance Mohamed Azam, un fabricant de saris musulman venu rendre visite dans le quartier de négociants hindous de Lakhi Choutra au grossiste qui lui achète sa production, un commerce essentiel au tissu social de Varanasi.

Pour la communauté musulmane de cette ville aux 28 noms, qui constitue plus d'un quart de son 1,2 million d'habitants selon un recensement de 2011, la polarisation à l'œuvre en Inde ces dernières années est source d'inquiétude.

Depuis l'arrivée au pouvoir de Narendra Modi, "la façon de penser et les mentalités (des hindous de Varanasi) ont changé mais pas les relations, car nous sommes dépendants d'eux et eux dépendent de nous", estime Ramzan Ali Ansari, un producteur de saris de soie haut de gamme, dont les ouvrages plus élaborés nécessitent jusqu'à deux mois de travail.

Dans le ghetto des tisserands, chaque porte ouvre sur un atelier. Dans l'un, on tisse à la main, lentement, en faisant jouer le mécanisme d'une pédale à pied. Dans un autre, des métiers à tisser électriques turbinent et produisent des saris moins raffinés mais à moindre coût. Leurs coups de butoir font trembler le sol du quartier, comme si un train passait.

Les coupures de courant sont ici quotidiennes et peuvent durer plusieurs heures, une situation récurrente dans cette région pauvre. Des interruptions de travail qui entraînent une diminution de 20 à 25% de la production.

"Modi est un menteur" quand il parle de développement de Varanasi, estime Ramzan Ali Ansari. "La seule chose qu'il fait c'est nous diviser sur des lignes religieuses".

- 'Vous comprendrez la beauté' -

Dans les ruelles tortueuses de la vieille ville, des nuées de pèlerins se pressent. Trois lignes horizontales sont tracées d'une poudre jaune sur leur front, la marque de Shiva, le dieu de la destruction traditionnellement suivi dans le sud de l'Inde.

"Varanasi est située sur le trident du seigneur Shiva. Quand l'apocalypse surviendra et détruira tout, Varanasi sera encore debout", dit Kulpati Tiwari, grand prêtre du temple Vishwanath, l'un des plus influents d'Inde et dont sa famille est la gardienne depuis 450 ans.

Il y a un magnétisme indéfinissable qui émane de Varanasi. Selon la foi hindoue, mourir ou y être incinéré permet de libérer l'âme en mettant fin au cycle infernal des réincarnations, but ultime de tout croyant.

Employé de banque dans une région voisine, Manoj Kumar ne peut s'empêcher de toujours revenir ici. Régulièrement, il vient traîner quelques jours dans le ventre de cette capitale historique de diffusion religieuse et philosophique, sans rien faire de particulier sinon contempler, manger et dormir.

"Allez sur les ghats, regardez le soleil se lever, et vous comprendrez la beauté de tout cela".

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