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En prison, les "1.000 impacts" de la surpopulation chronique

Intimité zéro, tensions, négociations incessantes... Après une parenthèse à la faveur de la crise sanitaire, la France renoue avec la surpopulation chronique de ses prisons et ses "1.000 impacts" sur la dignité humaine et le fonctionnement des établissements, relèvent surveillants, associations et détenus.

C'était une première en 20 ans, qui avait fait naître de véritables espoirs: après le confinement de mars 2020 et des mesures exceptionnelles pour faire de la place en détention, la densité carcérale est passé sous la barre des 100%. Des espoirs rapidement douchés: les chiffres sont remontés mois après mois, pour s'approcher aujourd'hui des valeurs pré-Covid.

Mathieu (prénom modifié) est surveillant à la prison de Bordeaux-Gradignan, où la densité carcérale dépasse les 200% (700 détenus pour 350 places chez les hommes).

Conséquence, dans des cellules de 9 à 11 m2 prévues pour un ou deux détenus s'y ajoute souvent un troisième, qui dort sur un matelas posé à terre. La France compte plus de 1.500 "matelas au sol", devenus une des mesures de la densité carcérale.

"Trois en cellule de 9m2, ce n'est pas que la promiscuité, c'est aussi la condensation d'humidité, l'air pas renouvelé, les moisissures, les maladies d'un autre temps...", énumère Mathieu. Les toilettes ? "Un petit retour de cloison, deux portes battantes, aucune intimité".

"On garde des hommes, pas du bétail. Et là, la dignité n'est vraiment pas respectée".

La surpopulation carcérale chronique a valu à la France une condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme début 2020. Elle touche essentiellement les maisons d'arrêt (détenus en attente de jugement et courtes peines), où la densité carcérale dépasse les 140 % - elles sont souvent aussi les plus vétustes et insalubres.

"En maison d'arrêt, on ne regarde pas s'il y a de la place ou pas. Il y a une infraction, on envoie en détention", dit Marianne (prénom modifié), responsable d'une association de soutien aux proches de détenus. La surpopulation et le "stress", l'agressivité" qui en découlent, "c'est la préoccupation principale", assure-t-elle.

- "Mathématique" -

A l'Observatoire international des prisons "on reçoit tous les jours des courriers": "je suis constipé parce qu'à chaque fois que je vais aux toilettes mes codétenus m'entendent"; pour celui qui veut travailler "il y a des listes d'attente longues comme le bras", énumère sa directrice, Cécile Marcel.

Début février dans une tribune au Monde suppliant magistrats et parlementaires d'aller voir en prison "la folie des cellules qui débordent", la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté Dominique Simonnot citait aussi plusieurs courriers.

"Je suis dans un trou qui s'appelle une prison, à trois dans une cage pour un. Ils nous ont mis un gamin de 22 ans qui fait crise d'épilepsie sur crise d'épilepsie. On le relève quatre fois par nuit et, à chaque crise, il s'arrête de respirer, on croit qu'il va mourir à côté de nous", écrit l'un d'eux.

Un autre dit avoir fini par percer lui même l'abcès dentaire dont il souffrait depuis plusieurs jours, faute de pouvoir voir un médecin.

"Il y a 1.000 impacts de la surpopulation", résume Alexandre Bouquet, du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP-CFDT). L'établissement est organisé selon les places disponibles, pas le nombre réel de détenus. Et tout est plus lent, les "mouvements" pour aller au parloir ou en en cour de promenade -surencombrées -, "les extractions, les activités, l'école, les soins... tout prend plus de temps, c'est mathématique".

Cela créée des tensions entre surveillants et détenus, mais pas que: "Quand (les détenus) nous disent +vous êtes tout seul, c'est la galère, faites ce que vous pouvez+, c'est qu'il y a un problème", sourit Erwan Saoudi, délégué FO-pénitentiaire pour l'Ile-de-France. "On tourne avec 30-40% de stagiaires" et les surveillants filent ailleurs dès qu'ils peuvent. "Vous perdez tout savoir faire".

Comme d'autres, François Korber, de l'association d'aide aux détenus Robin des lois, prône un "numerus clausus" - différer les incarcérations quand le seuil est atteint, et libérer certains détenus en fin de peine (ce qui a été fait au début de la crise sanitaire).

"Le premier confinement était un exemple extraordinaire", soutient-il. "On a prouvé qu'on pouvait parfaitement réduire la population carcérale sans mettre la France en danger".

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