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En Russie, une ONG s'active pour protéger les manifestants face à la machine judiciaire

Comment retrouver ses camarades de manifestation parmi les centaines de personnes arrêtées? Comment les aider? La petite ONG OVD-Info soutient les opposants face aux méandres de la justice russe et répond par un crédo simple : "Personne ne doit rester seul".

L'histoire commence le 5 décembre 2011, lors d'une manifestation à Moscou pour des "élections sans fraudes", peu avant le retour à la présidence de Vladimir Poutine. Parmi les centaines de personnes arrêtées, deux jeunes Moscovites cherchent leurs proches.

Après avoir écumé plusieurs commissariats, Grigori Okhotine et Daniil Beïlinson publient une liste de détenus sur Facebook: l'acte de naissance d'OVD-Info.

Huit ans plus tard, l'organisation compte 27 employés, plus de 300 bénévoles, une assistance téléphonique 24 h sur 24 h, une batterie d'avocats à disposition et elle représente la source la plus fiable pour comptabiliser les interpellations lors de manifestations en Russie.

Une utilité encore démontrée lors de la mobilisation actuelle pour des "élections libres", qui ont entraîné en un mois près de 3.000 arrestations. Parmi elles, treize personnes risquent entre huit et dix ans de prison pour "troubles massifs" ou "violences contre les forces de l'ordre".

"Pourtant, je peux vous assurer qu'ils manifestaient pacifiquement", soutient Alla Frolova, 54 ans, coordinatrice juridique d'OVD-Info, qui est de tous les combats depuis son arrivée en 2015.

- Procédures opaques -

Tirant son nom du sigle des commissariats russes (OVD), l'association centralise les signalements de personnes arrêtées, localise leurs lieux de détention puis y dépêche des juristes spécialisés.

Le temps presse à chaque fois, les commissariats russes étant réputés pour l'opacité de leurs procédures et des violences fréquentes. "Ils nous cachent des choses car il y a beaucoup de violations de la loi", résume Alla Frolova, tout en disant chercher un "dialogue" avec la police.

Arrêté lors des manifestations du 27 juillet et du 3 août, Alexandre Finiarel, 24 ans, a reçu l'aide gratuite d'une avocate trouvée par OVD-Info. Dès son interpellation, ses amis ont appelé l'ONG et rassemblé les noms des personnes dans le fourgon.

"OVD-Info nous a ensuite donné des conseils pour se comporter de la bonne façon avec les policiers. Et ils nous ont calmés, tout simplement. On avait une sorte d'assurance d'être suivis et aidés", raconte cet étudiant moscovite.

L'organisation rassemble aussi des informations grâce aux réseaux sociaux et à un chat sur la messagerie Telegram, des méthodes à l'image de la moyenne d'âge de ses employés, autour de la trentaine.

"Une nouvelle génération de défenseurs des droits de l'Homme", affirme Alla Frolova. L'OVD-Info a d'ailleurs pour partenaire l'historique ONG Memorial, spécialisée dans la documentation des crimes soviétiques.

- "Aide psychologique" -

Mercredi, Alla Frolova était présente à l'audience de Konstantin Kotov, un militant risquant cinq ans de prison pour "violation répétée des règles des manifestations". OVD-Info lui a fourni gratuitement une avocate, Maria Eïsmont.

Une quarantaine de personnes, dont la romancière Lioudmila Oulitskaïa, accueillent le prévenu dans la salle d'audience par des applaudissements. "On est dans une situation où l'aide psychologique, le soutien de la société et la résonance médiatique sont beaucoup plus efficaces que les arguments juridiques", commente Maria Eïsmont.

Depuis un mois, cette ancienne journaliste est sur le qui-vive tous les week-ends. "A peine rentrée chez moi, je n'ai pas le temps de boire un verre de vin qu'on m'appelle déjà", sourit-elle. Elle rejoint alors les détenus dans les commissariats, puis se rend aux audiences.

"C'est un combat politique, pas juridique (...) Je ne suis pas naïve et je sais que la décision n'est pas prise ici. Mais au cas où, il faut que tous les documents soient là", ajoute la juriste. "Ensuite, il y a toujours la possibilité de gagner devant la Cour européenne des droits de l'Homme".

Une fois les recours épuisés en Russie, OVD-Info affirme faire remonter le maximum d'affaires devant la CEDH, qui dépend du Conseil de l'Europe. L'ONG reçoit également une subvention de la Commission européenne, qui représentait en 2018 près de 35% de son budget. Le reste est assuré par des dons et des levées de fonds.

Après les premières manifestations de cet été, OVD-Info dit avoir reçu en juillet plus de 100.000 euros de dons, un record. Pour Leonid Drabkine, 27 ans, chargé du "crowdfunding", ce n'est pas une surprise : "Si vous êtes une lumière dans l'ombre, cela suscite forcément la confiance".

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