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En Tunisie, des jeunes défavorisés en campagne moyennant finances, faute de mieux

Trente à 120 dinars la journée pour distribuer des tracts ou accompagner un candidat en campagne: dans un café lugubre d'une banlieue mal réputée de Tunis, les jeunes connaissent mieux les tarifs des partis que leur programme pour les législatives.

Signe du désenchantement vis à vis de la politique, et de la précarité profondément installée, nombre de partis peinent à trouver des habitants pour les accompagner sur le terrain, et en rémunèrent donc certains. Surtout dans les zones les plus marginalisées, comme l'arrondissement 106 de la cité Ettadhamen.

Dans ce vaste faubourg informel aux rues tordues encombrées de marchands à la sauvette, l'Etat est quasi absent de la vie quotidienne: pas d'impôts, peu de services publics, et les hommes politiques viennent rarement en dehors des périodes électorales.

Mais avec les scrutins qui se succèdent actuellement -- premier tour de la présidentielle le 15 septembre, législatives le 6 octobre, puis de nouveau présidentielle le 13 -- les jeunes du quartier sont régulièrement mobilisés.

A 23 ans, Ahmed prépare son bac -- pour la troisième fois : difficile de se concentrer sur ses études quand on a besoin d'argent, et qu'on a pour horizon un chômage à plus de 30%.

Les élections sont pour lui une aubaine : il a travaillé une semaine pour un parti, qui l'a payé 50 dinars par jour.

"Vu notre situation, cet argent est bienvenu je ne vais pas le cacher", lance-t-il, mi goguenard mi-amer, attablé avec quelques amis et "un café pour deux" dans une salle aux murs lépreux et aux chaises éventrées.

"Mais ça ne dure que quelques jours, et en réalité, ça ne résout aucun de nos problèmes sur le long terme", ajoute-t-il, lucide, avant de citer le proverbe "je préférerais qu'on nous apprenne à pêcher plutôt que de nous donner du poisson".

"Plus je travaille avec ces gens là, plus je les déteste: ils me voient comme un gars qu'on peut acheter pour 50 dinars, pas comme une personne qui a des problèmes à résoudre", renchérit Belhacène, lui aussi lycéen en déroute.

- Retour à la case départ -

Rares sont ceux qui ont voté pour les partis les plus généreux.

Ramzi, un père de famille, s'est abstenu: "le pays est vendu, je ne vais pas leur donner ma voix".

"Au final, ils votent pour le seul qui ne paie pas, justement parce qu'il est venu sans machine financière", assure Alaeddine, un jeune militant local, en référence à Kais Saied, arrivé en tête au premier tour de la présidentielle.

M. Saied, enseignant d'université, a créé la surprise après une campagne low-cost durant laquelle il a arpenté le pays entouré d'un petit noyau de partisans.

Son adversaire, Nabil Karoui, un homme d'affaires soupçonné de fraude fiscale et incarcéré, a beau avoir distribué des biens de première nécessité lors de grosses opérations caritatives dans le quartier pendant le ramadan, il n'a pas gagné leur estime.

"Il a profité de la pauvreté et de l'ignorance", peste Alaeddine. "Il diffuse ça sur sa télé, Nessma, et du coup les gens comme ma mère sont convaincus", estime le jeune homme. Ces opérations dans des zones délaissées ont contribué à la popularité de M. Karoui, dont le parti est donné en bonne place pour les législatives.

Ce qui les ferait rêver ? Des transports publics, un accès à la santé, des maisons de jeunes, et surtout : un travail décent.

Mais ils sont désabusés, à force de promesses déçues.

"Une maison de jeunes a été inaugurée le 14 janvier 2018", en présence du président de la République, se souvient Belhacène. "Mais depuis il ne s'y passe rien, au quotidien elle est fermée".

"Dès que ces élections seront finies, c'est le retour à la case départ, au désespoir", soupire Ridah, le cafetier du lieu, un trentenaire payé 18 dinars (3 euros) par jour, sans aucune protection sociale, alors que la viande atteint 25 dinars le kilo.

"Ma vie est noire, je n'ai ni maison ni mariage, je vieillis, regarde je perds mes dents. Quand est-ce qu'on va me donner un vrai travail?"

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