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Erdogan en Allemagne: ton apaisé mais divergences persistante

Rompant avec ses diatribes contre l'Allemagne, le président turc Recep Tayyip Erdogan a adouci son ton lors de sa récente visite à Berlin, mais une pleine normalisation entre les deux pays se heurte à de nombreux obstacles.

La visite de M. Erdogan est survenue alors que la Turquie est secouée par une crise financière qui a vu sa monnaie, la lira, perdre 40% de sa valeur sur fond de crise diplomatique avec les Etats-Unis. Cette querelle et son impact sur l'économie turque ont mis en évidence l'importance des liens entre Ankara et l'Europe.

Or ces relations ont touché le fond après le coup d'Etat manqué de juillet 2016 en Turquie, Ankara reprochant à ses alliés européens un manque de solidarité après cette tentative de putsch.

Mais Ankara semble avoir adopté un langage plus conciliant au moment où ses relations avec Washington se dégradent et son économie, très dépendante des échanges avec l'Europe, bat de l'aile.

La visite d'Etat que M. Erdogan a achevée samedi en Allemagne a été vue de manières divergentes, le dirigeant turc vantant un franc succès alors que la presse conservatrice allemande a critiqué la pompe avec laquelle l'homme fort turc, qui tirait jadis à boulets rouges sur Berlin, a été reçu par la chancelière Angela Merkel et le président Frank-Walter Steinmeier.

- Bilan "très fructueux" -

M. Erdogan, doté de pouvoirs accrus depuis le début de son nouveau mandat en juillet, a inauguré samedi avec son épouse à Cologne une des plus vastes mosquées d'Europe, financé par l'Union des affaires turco-islamiques (Ditib), mais aucun responsable allemand de premier plan n'a participé à cette cérémonie

Dans un discours à la mosquée, il a tenu à saluer le bilan "très fructueux" de sa visite après les "tensions récentes".

Et lors de sa conférence de presse avec Mme Merkel jeudi, M. Erdogan a annoncé que les deux pays étaient parvenus "à un consensus pour relancer les mécanismes de coopération".

Le dirigeant turc ne s'est pas départi de son calme lorsque le service de sécurité a évacué sans ménagement un homme arborant un tee-shirt "Liberté pour les journalistes".

Mais la seule annonce concrète à l'issue de la rencontre a porté sur l'éventuelle organisation en octobre à Istanbul d'un sommet inédit sur la Syrie, axé sur le sort du dernier bastion rebelle d'Idleb et réunissant Russie, Turquie, Allemagne et France.

"Les deux parties sont disposées à aller de l'avant pour sortir de l'impasse", estime Ilke Yoygur, analyste à l'Elcano Royal Institute à Madrid.

Selon elle, la crise avec les Etats-Unis a poussé la Turquie à chercher à "réparer les dégâts" avec les Européens, mais ces deniers veulent voir des "mesures concrètes" d'apaisement de la part d'Ankara.

- "Long et ardu" -

Excluant à ce stade une reprise des négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE, gelées depuis plusieurs années, elle estime que la Turquie pourrait en revanche espérer une modernisation de l'Union douanière qui la lie au bloc, mais pas avant les élections du Parlement européen en mai 2019.

"La principale réussite de cette visite est le fait qu'elle a eu lieu", souligne Marc Pierini, analyste à Carnegie Europe et ancien ambassadeur de l'UE à Ankara.

L'ampleur de la tâche qui attend les deux pays pour normaliser leurs relations a été illustrée par les propos sans compromis tenus par M. Steinmeier jeudi lors d'un dîner d'Etat en l'honneur de M. Erdogan.

Le président allemand s'est dit préoccupé par le sort de citoyens allemands, de militants syndicaux, de journalistes et d'opposants politiques incarcérés en Turquie. "On ne peut tout simplement pas passer cette question sous silence", a-t-il dit.

Il a aussi estimé qu'une simple visite de M. Erdogan "n'est pas suffisante pour normaliser les relations".

Dans des propos publiés lundi, M. Erdogan a vivement critiqué les déclarations de son homologue allemand, affirmant qu'elle "ne sont pas très appropriées" et que la Turquie ne traiterait pas un hôte de la sorte.

Pour M. Pierini, cet épisode "traduit les importantes divergences entre les deux parties au sujet de l'état de droit, notamment en ce qui concerne la libre expression".

"Mon sentiment est que le chemin de la normalisation sera long et ardu", a-t-il ajouté.

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