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Etat de droit: passe d'armes entre Bruxelles et Varsovie devant les eurodéputés

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a haussé le ton mardi en menaçant de sanctionner Varsovie après une décision controversée du Tribunal constitutionnel, face au Premier ministre polonais qui a dénoncé un "chantage" devant le Parlement de Strasbourg.

"N'essayez pas de fuir ou de détourner le débat. Porter atteinte à l'Etat de droit ou à la primauté du droit européen met en danger notre démocratie européenne. Nous ne pouvons pas et nous ne laisserons pas cela se produire", a averti Mme von der Leyen, sans toutefois annoncer de mesures immédiates.

"Nous ne croyons pas au chantage ni à l'attitude paternaliste envers la Pologne", a répliqué le chef du gouvernement conservateur nationaliste polonais, Mateusz Morawiecki, tout en assurant que son pays "est et restera un membre de l'UE".

La Pologne est en conflit ouvert avec Bruxelles depuis plusieurs années en raison des réformes judiciaires controversées mises en œuvre par le parti populiste de droite, Droit et Justice (PiS).

Les tensions se sont accrues depuis début octobre, quand le Tribunal constitutionnel polonais, institution proche du parti au pouvoir, a jugé certains articles des traités de l'UE "incompatibles" avec la Constitution du pays.

- "L'Europe ne survivra pas" -

La Commission et plusieurs Etats membres y voient une attaque sans précédent contre la primauté du droit européen et la compétence de la Cour de justice de l'UE, des piliers fondateurs de l'UE.

Durant près de quatre heures, des députés européens se sont succédé à la tribune pour dénoncer l'attitude de M. Morawiecki.

Fustigeant "une attaque contre la démocratie", la plupart ont critiqué les réticences des Etats membres et de la Commission à sévir contre la Pologne.

"Quand un Etat membre menace de ne pas respecter les règles, il se place de lui-même devant la sortie, personne ne le pousse", a lancé l'Espagnole Iratxe Garcia Perez, cheffe du groupe S&D (gauche).

Bruxelles a pour l'instant gelé 36 milliards d'euros promis à Varsovie dans le cadre du plan de relance européen post-Covid. Mme von der Leyen a prévenu que la Pologne devrait rétablir l'indépendance de la justice avant de pouvoir toucher ces fonds.

M. Morawiecki s'est engagé à abolir la chambre disciplinaire de la Cour suprême, une instance contestée par l'UE, dont la suppression avait déjà été annoncée en août par Varsovie mais qui continue à fonctionner.

La présidente de l'exécutif européen a expliqué qu'elle pourrait déclencher contre la Pologne une nouvelle procédure d'infraction, pouvant mener à une saisine de la Cour de justice de l'UE.

Pour la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, cette mesure est "évidente mais insuffisante". A l'occasion d'une réunion des ministres des Affaires européennes à Luxembourg, préparatoire à un sommet jeudi et vendredi, les trois pays ont appelé la Commission à faire usage "le plus tôt possible" d'un nouvel outil permettant de suspendre ou de réduire les fonds versés à un pays ne respectant pas l'Etat de droit.

Ce mécanisme donnera lieu à l'envoi d'une lettre aux pays concernés dans les prochaines semaines, "très probablement" avant la fin de l'année, a indiqué la vice-présidente de la Commission, Vera Jourova.

La Pologne et la Hongrie, également mise à l'index pour ses violations de l'Etat de droit, devraient être parmi les premiers rappelés à l'ordre.

Les atteintes à l'indépendance des juges polonais ont déjà conduit Bruxelles à lancer plusieurs procédures contre Varsovie.

- Berlin prône le dialogue -

Mais vendredi, la chancelière allemande Angela Merkel, sur le départ, avait prôné le dialogue plutôt qu'un durcissement à l'égard de Varsovie, laissant apparaître l'embarras de plusieurs gouvernements européens qui craignent de creuser un fossé entre l'Ouest et des pays de l'ex-bloc de l'Est.

"Nous avons un problème avec Mme Merkel et la sensibilité allemande vis à vis de la Pologne", a reconnu auprès de l'AFP un ministre européen.

Le commissaire européen à la Justice Didier Reynders a toutefois fait état au sein des pays membres d'un "soutien assez fort sur la nécessité de réagir".

Le débat sur la primauté du droit européen sur le droit national a débordé dans d'autres pays, comme la France en pleine campagne présidentielle.

"Ces forces politiques qui remettent en cause l'Europe par démagogie (...) sont partout en Europe", a déploré le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune.

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