Accueil Actu

Des ex-modérateurs de Facebook dévoilent la difficulté de leur travail: "On se défonçait et revenait devant nos ordinateurs pour supporter ces images"

C'est une investigation journalistique inquiétante que le magazine "the Verge", spécialisé dans les nouvelles technologies vient de publier. Le journaliste a voulu se rapprocher du quotidien des modérateurs du réseau social Facebook. Pour ce faire, il a interrogé sous le couvert de l'anonymat, des employés de la compagnie Cognizant, un sous-traitant de Facebook, basé aux Etats-Unis à Phoenix.

Cette société est un client du géant Facebook et fait signer à tous ses employés des clauses de confidentialité. Cognizant emploie des modérateurs moins bien rémunérés que ceux de Facebook pour visionner et modérer les contenus publiés par les utilisateurs du réseau social.

A la tête de ces jeunes employés (la plupart ont entre 20 et 30 ans...), se trouvent des managers qui favorisent le "micromanagement", c'est-à-dire que le manager observe et contrôle étroitement le travail de ses subordonnées, se caractérisant par un contrôle excessif, donnant trop d'attention aux détails. Mais il faut dire que les journées des modérateurs sont réglées à la minute près, comme le révèlent des collaborateurs sous le couvert de l'anonymat.

Un employé doit modérer au minimum 200 postes par jour. S'il n'atteint pas cet objectif, son manager le rappelle à l'ordre.

A leur arrivée, les community managers doivent laisser leurs effets personnels dans des casiers verrouillés. Il n'est en effet pas permis d'avoir un smartphone à ses côtés. Des bics et des blocs-notes ne sont pas permis, au cas où un modérateur voudrait écrire une information personnelle d'un utilisateur de Facebook. Cette règle s'étend également aux petits papiers, comme ceux des chewing-gums, par exemple. Des petits éléments comme une crème pour les mains peuvent être utilisés à condition de se trouver dans un sac en plastique transparent se trouvant à côté de l'employé concerné. Le manager pouvant voir son contenu.

Les pauses sont chronométrées et les employées doivent faire leurs besoins naturels pendant ces pauses-là.

Et la tâche quotidienne n'est pas facile. Ces hommes et ces femmes se retrouvent chaque jour devant un volume considérable de messages, vidéos et photos en attente d'être lus, visionnés, modérés.

Il est nécessaire qu'ils appliquent tous systématiquement un même ensemble de règles, et qu'ils se tiennent informer au jour le jour sur les modifications et les clarifications quasi-quotidiennes de ces règles. Un manque de contexte culturel ou politique de la part des modérateurs peut rendre une interprétation ambiguë. Il existe d'ailleurs de fréquents désaccords entre les modérateurs sur le point de savoir si certaines règles doivent s’appliquer à des cas individuels.

Facebook a établi une échelle des règles à suivre. Et cela dans l'objectif d'avoir une précision de 95%. Cognizant n'a jamais atteint ce pourcentage cible, fluctuant plutôt aux alentours de 80 et 90%. Pourtant, Facebook souhaite que chaque publication soit modérée de la même façon.

Chaque publication est soumise à deux tests. Premièrement, le modérateur doit déterminer si la publication viole les standards de la communauté. Et après, il doit sélectionner la raison correcte pour laquelle une modération a été faite. Tout est revu par le manager. 

Ces community managers sont confrontés tous les jours à des publications zoophiles, des agressions, des suicides, des commentaires racistes, des conspirations. Certains d'entre eux ayant eux-mêmes commencé à y croire, comme en attestent les témoignages des employés : "Les gens ont commencé à croire à toutes ces publications. Les gens ont commencé à Googler toutes sortes d'éléments au lieu de faire leur job. Et quelqu'un nous a rappelés à l'ordre en disant: "Ce sont les histoires folles que nous devons modérer. Que faisons-nous, là?

Etant dans l'impossibilité d'en parler à l'extérieur, des liens très forts se créent entre les différents employés : "Vous devenez proches de vos collègues très vite, parce qu'on partage les mêmes choses. C'est comme une connexion émotionnelle, alors qu'en réalité, c'est juste une liaison basée sur un même traumatisme."

"Certains employés libérant même la pression en ayant des relations sexuelles dans la salle prévue pour l'allaitement ou une cage d'escalier", écrit le journaliste.

"Les employés supportent le quotidien en consommant de la drogue et l'alcool, même sur leur lieu de travail", révèle le journaliste. Une ancienne employée révèle qu'elle ne pourrait pas compter le nombre de personnes avec lesquelles elle a fumé des joints: "On se défonçait et revenait devant nos ordinateurs pour supporter ces images. C'est triste et pas professionnel."

Beaucoup ont commencé à développer des syndromes post-traumatiques secondaires au fil du temps en faisant des crises d'angoisse, en ayant des insomnies, et en tombant dans la dépression.

Le journaliste qui a visité les lieux a eu un sentiment étrange en pénétrant dans la société Cognizant. "Des pancartes avec des mots d'encouragements et des phrases positives avaient été suspendues aux murs, un jour avant mon arrivée", détaille l'Américain. Et pas moyen de regarder un seul écran, à son passage, toutes les sessions étaient fermées sur les ordinateurs par souci de confidentialité...

À lire aussi

Sélectionné pour vous