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Euro-2024: l'ombre d'Erdogan plane sur la candidature turque

Recep Tayyip Erdogan, fan de football, a développé les infrastructures sportives de son pays et manifesté à plusieurs reprises son ambition d'organiser une compétition majeure. Mais sa dérive autoritaire risque de plomber la candidature de la Turquie à l'Euro-2024.

L'UEFA doit annoncer jeudi qui de la Turquie ou de l'Allemagne accueillera la principale compétition continentale et nul doute que le président turc espère l'emporter pour redorer une image ternie ces dernières années.

D'autant plus que le président turc entame le jour-même de l'annonce de la décision de l'UEFA un déplacement très attendu en Allemagne, et rafler la mise lui permettrait d'aborder avec un avantage au score sa rencontre avec la chancelière Angela Merkel.

Mais l'instance suprême du football européen se risquera-t-elle à confier au pays de ce dirigeant controversé aux yeux de l'Occident l'organisation de sa compétition reine?

"Où que vous regardiez, les abus des droits de l'Homme sont endémiques en Turquie", souligne Andrew Gardner, chercheur en Turquie pour Amnesty International. "L'UEFA doit dire clairement au gouvernement que cela ne serait pas acceptable".

Dans son rapport d'évaluation publié la semaine dernière, l'UEFA pointe d'ailleurs avec "préoccupation" l'absence, dans le projet de la Fédération turque de football (TFF), de "plan d'action dans le domaine des droits humains".

L'une des questions cruciales est de savoir quelle importance aura le critère des droits de l'Homme, introduit pour la première fois pour l'édition 2024 dans le cahier des charges de l'organisation de l'Euro, dans le choix de l'UEFA jeudi.

"On ne demande certes pas à un pays retenu pour une grande compétition sportive d'être un modèle de démocratie et d'Etat de droit", souligne Jean Marcou, chercheur associé à l'Institut français d'études anatoliennes, citant l'exemple du dernier Mondial en Russie.

Mais il rappelle que la répression de vastes manifestations antigouvernementales en 2013 avait jeté un voile sur la candidature de la Turquie à l'organisation des jeux Olympiques de 2020, dont l'attribution au Japon était survenue quelques mois après.

- Le silence d'Erdogan -

Or depuis, la situation n'a fait qu'empirer: depuis une tentative de putsch en 2016, suivie d'arrestations massives, le pays est régulièrement épinglé par les ONG de défense des droits de l'Homme pour des atteintes aux libertés d'expression.

Cette dégradation de la situation des droits de l'Homme en Turquie pourrait nuire au pouvoir d'attraction de ce pays qui, en 2010, avait manqué d'une seule voix l'organisation de l'Euro-2016 face à la France.

Comme s'il voulait se faire oublier, M. Erdogan a été remarquablement silencieux au sujet de l'Euro-2024, alors qu'il était au four et au moulin pour défendre la candidature turque aux JO.

Pour M. Marcou, cette discrétion pourrait s'expliquer par sa volonté de ne pas nuire à la candidature turque en la politisant ou en s'y associant d'un peu trop près, mais aussi par les difficultés économiques que traverse le pays actuellement.

Daghan Irak, sociologue du sport turc et chercheur à l'Université d'Aix-Marseille, observe pour sa part un "fort manque de motivation des acteurs politiques et sportifs" turcs par rapport aux candidatures précédentes, "probablement pour des raisons financières".

Reste que décrocher l'organisation d'une compétition sportive de cette envergure serait une consécration pour le président turc, un fan de football, sport qu'il a pratiqué au niveau semi-professionnel dans sa jeunesse.

Une telle prise "conforterait la stature internationale de Recep Tayyip Erdogan", abonde M. Marcou, soulignant que cela ferait "oublier les zones d'ombre" en "donnant du pays une image forcément plus positive, notamment chez ceux très nombreux qui le connaissent mal".

Si quelques rares opposants de M. Erdogan appellent l'UEFA à ne pas confier l'organisation de l'Euro-2024 à la Turquie, d'autres voix critiques l'y encouragent au contraire, anticipant des retombées positives.

"Les yeux du monde seraient rivés sur la Turquie", souligne Andrew Gardner, d'Amnesty International, donc le gouvernement "serait obligé de faire des progrès sur la liberté de la presse ou d'expression" avant, pendant et après le tournoi.

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