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Face aux chars, les bombes artisanales des rebelles syriens

Le fil électrique touche les électrodes de la batterie, Abou Souleimane crie "Allah Akbar!" et la bouteille de gaz explose, éventrant la route à quelques kilomètres des positions de l'armée syrienne.

Pour ce chef rebelle qui tient avec ses hommes une zone montagneuse au nord de la Syrie, il était crucial d'interdire cette route, frontalière avec la Turquie, aux blindés de Damas.

"J'ai coupé les trois accès au village qu'ils tiennent encore, il ne leur en reste qu'un et sur celui-ci nous pourrons les attaquer", dit dans un grand sourire ce barbu trapu de 35 ans, fils d'un notable de la région de Hama (centre) tué lors de la répression contre les Frères musulmans en 1982.

Pour approvisionner ses hommes en armes, il achète des kalachnikovs aux trafiquants, essentiellement libanais. Mais pour les explosifs, nécessaires pour miner les routes et tenter de faire face aux chars de l'armée syrienne, il s'est tourné vers internet.

"J'ai trouvé les recettes de bombes artisanales sur le web, je les ai copiées sur des clefs USB et les leur ai apportées", explique un de ses hommes.

C'est "M. Abdallah", maçon dans le civil mais artificier dans l'armée lors de son service militaire, qui gère l'atelier de fabrication des engins artisanaux. Une pièce nue aux murs de parpaings, près d'une des maisons sûres du groupe.

Dans la pièce, les ingrédients: nitrate d'aluminium, engrais, gasoil. Mélangez, chauffez à la bonne température, vous obtenez une pâte détonante.

Les détonateurs sont fabriqués avec de petites sections de tubes remplies de cette pâte et reliées à des fils électriques.

"Ce n'est pas très difficile, et avec les gros engins nous avons déjà arrêté des chars," affirme M. Abdallah.

"Arrêté, pas détruit. Nous endommageons les chenilles et ils ne peuvent plus avancer. Pour les détruire, il faudrait plus puissant et nous n'avons pas. Mais nous les stoppons et c'est déjà ça. Ils commencent à le craindre," affirme l'artificier, assurant avoir commencé sa mortelle cuisine en juillet, quatre mois après le début de la contestation réprimée dans le sang en Syrie.

Les outils (perceuse, pinces, piles, fer et poste à souder) et matériaux (mastic, silicone, batterie de moto, poudres diverses) traînent au sol. Des alarmes de voiture vont servir à fabriquer des télécommandes.

Dans le couloir, trois bombonnes de gaz remplies d'explosif, vissées et câblées, prêtes à l'emploi. Dehors, dans un pick-up, cinq cartons de nitrate d'aluminium.

M. Abdallah emploie aussi des sections de tuyau en métal de 20 centimètres de diamètre, soudées aux deux extrémités, garnies de gros morceaux de métal pour provoquer des éclats.

"C'est dangereux, c'est vrai... Il faut faire attention..." Il conduit des journalistes de l'AFP dans une maison voisine: il y a six semaines, les murs ont été soufflés de l'intérieur, le plafond noirci.

"Seulement 200 grammes, cela a sauté pendant qu'on faisait le mélange... Heureusement c'était dans une assiette, nous avons été légèrement blessés. Dans un tube, nous serions morts..."

Les rebelles utilisent le même mélange explosif pour fabriquer des grenades à main: une section de tube fermée par des bouchons vissés, une mèche qui dépasse.

Sur la route où a explosé la bouteille de gaz piégée, glissée dans une buse par un rebelle, Abou Souleimane se précipite pour voir les dégâts. La chaussée est éventrée sur la droite, mais elle n'est qu'abîmée sur la gauche.

"Yallah ! Apportez-en une autre !" ordonne le chef. Un second engin artisanal est glissé dans la canalisation. Une voiture approche, fait demi-tour à la vue des armes brandies. Tout le monde s'éloigne; nouvelle explosion. Le cratère est énorme, la route impraticable.

En contrebas, les habitants d'un hameau alertés par le bruit sortent sur le seuil des maisons. De loin, Abou Souleimane leur fait le V de la victoire et hurle: "J'emmerde Hafez el-Assad !", père de l'actuel président, au pouvoir lors du massacre de Hama, devenu symbole de la brutalité du régime du clan Assad.

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