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Français tués dans des frappes françaises en Syrie: des questions sur la légalité

L'annonce de la mort possible de jihadistes français dans les frappes menées par la France en Syrie contre le groupe État islamique a soulevé de nombreuses questions sur la légalité de l'intervention elle-même et sur le risque d'actions en justice contre l'État français.

- LES FRAPPES SONT-ELLES LÉGALES? -

La France a justifié ses frappes en Syrie par l'article 51 de la Charte des Nations unies, qui reconnaît "un droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective" en cas "d'agression armée".

Pour Jean-Paul Laborde, directeur du Comité contre le terrorisme de l'ONU, l'"incitation au terrorisme" faite par le groupe jihadiste État islamique (EI) envers la France "est une infraction qui peut être la source d'opérations". Mais pour de nombreux experts, cette justification n'est pas valable, car l'article 51 traite d'agression caractérisée entre États.

"C'est un détournement de procédure", estime Patrick Baudouin, avocat et président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH). "L'État islamique n'est pas un État. On est dans le cadre de la guerre contre le terrorisme inventé par les États-Unis. Je ne vois pas comment on peut faire jouer le droit dans ce cas", explique Ariel Colonomos, directeur de recherche au CNRS et enseignant à Sciences Po: "On peut éventuellement défendre ces actions avec un argumentaire moral, politique mais pas juridique".

-DES EXÉCUTIONS 'EXTRA-JUDICIAIRES'? -

Du coup, "si on considère que l'opération n'est pas légale", la mort de jihadistes français "relève de l'exécution extra-judiciaire", souligne Patrick Baudouin.

Éliminer une personne par anticipation, au motif qu'elle pourrait commettre un attentat par la suite en France, constitue "presque un procès d'intention", ajoute-t-il. "On dit +Ils sont en Syrie, ils vont revenir commettre des actes terroristes, donc on est en légitime défense+. Sans être angélique ou naïf, il reste à le prouver. Les autorités françaises devraient faire preuve de prudence dans un combat qui est peut-être légitime mais qui risque de ne pas être légal."

Pour Ariel Colonomos, "l'État considère qu'il peut tuer ces personnes à l'étranger". "Mais si elles étaient appréhendées sur le sol national, elles seraient des criminels. Elles se rapprochent plus du statut de criminel que de combattant", estime-t-il, en rappelant que "des tribunaux parisiens ont statué que ces personnes ne relevaient pas du droit international humanitaire mais du droit pénal".

- DES PLAINTES POSSIBLES? -

"Porter plainte me paraît saugrenu", glisse une source judiciaire. Une éventuelle action d'une famille de victime s'annonce en tout cas difficile, sur le fond et la forme.

En décembre 2013, la loi de programmation militaire a modifié le code de procédure pénale (article 698-2) et désormais seul le parquet peut engager des poursuites en cas de plainte sur des faits commis par des militaires dans le cadre d'une opération hors du territoire français. Cette disposition agit comme un filtre -un "verrou", disent certains- et évite qu'une plainte avec constitution de partie civile provoque l'ouverture automatique d'une information judiciaire.

Par ailleurs, il peut s'avérer difficile de prouver formellement l'identité d'une personne tuée par un missile en terrain ennemi ou l'origine de la frappe fatale.

- Y A-T-IL DES PRÉCÉDENTS A L'ÉTRANGER? -

Aux États-Unis, l'élimination en 2011 au Yémen d'Anwar Al-Awlaki, imam américano-yéménite lié à Al-Qaïda dans la péninsule arabique, avait provoqué l'indignation de plusieurs associations et avocats qui avaient accusé Washington de se faire "juge, jury et bourreau". Une action judiciaire intentée par le père d'Al-Awlaki a été rejetée par un juge fédéral.

Une polémique similaire agite le Royaume-Uni depuis la révélation début septembre par le gouvernement de la mort de deux ressortissants britanniques, Reyaad Kahn et Ruhul Hamid, dans une frappe de drones en Syrie. Le Premier ministre David Cameron a justifié cette élimination ciblée par une menace avérée, une "série d'attaques" prévues "dans les rues de notre pays, certaines impliquant des événements publics". L'ONG Human Rights Watch a réclamé qu'il publie "les justifications légales" à cette opération et des documents factuels "expliquant pourquoi la menace contre des vies était imminente et pourquoi ces assassinats étaient inévitables".

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