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Frappes en Syrie: s'affranchir du droit international pour le faire respecter?

Des frappes illégales du point de vue du droit international mais présentées comme moralement nécessaires: Paris et Washington sont prêts à se passer d'une résolution des Nations unies pour punir Damas, qu'ils accusent d'attaques chimiques contre sa population.

"Nous avons la preuve" que le régime de Bachar al-Assad a employé des armes chimiques le 7 avril près de Damas, a assuré jeudi le président français Emmanuel Macron, qui, comme son homologue américain Donald Trump, menace de frappes de représailles.

"Douma, #Syrie: notre devoir est de réagir", affirmait vendredi sur son compte Twitter le ministère français des Affaires étrangères, vidéo à l'appui.

"Nous cherchons à arrêter le massacre d'innocents", faisait valoir la veille le ministre américain de la Défense Jim Mattis.

L'attaque de Douma, dans laquelle plus de 40 personnes ont péri, selon les ONG locales, représente une violation de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC), et ratifiée en 2013 par la Syrie, font valoir Washington et Paris.

Mais "la violation des conventions (comme le CIAC, ndlr) n'ouvre pas le droit au recours à la force", souligne Françoise Saulnier, directrice juridique de Médecins sans frontières (MSF).

Et en cas de frappes contre le régime syrien, les deux alliés, membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, ne pourront s'appuyer sur aucun des trois motifs autorisant l'utilisation de la force armée, selon les règles édictées par les Nations unies: feu vert du Conseil de sécurité - exclu en raison des veto répétés de la Russie, grand allié de Damas -, demande formulée par l'Etat hôte, ou l'article 51 de la Charte permettant d'invoquer la "légitime défense".

C'est cet article qu'avait invoqué le président français François Hollande pour ordonner des frappes sur le territoire syrien, dans la foulée des attentats de novembre 2015, arguant que les jihadistes présents dans la zone constituaient un menace pour la France.

- "Ecran de fumée" -

Pour légitimer une action militaire, Paris et Washington semblent donc se placer sur le registre de l'exigence morale face à Bachar al-Assad, "un animal qui tue avec du gaz, qui tue son peuple et aime cela", selon les mots de Donald Trump.

"Il y a des résolutions de l'ONU qui ont été prises, aujourd'hui on est peut-être hors cadre de ces résolutions, mais on est dans le cadre de la légalité internationale. Ce dictateur massacre son peuple et il le fait d'une manière intentionnée", argumente le président de la commission Défense de l'Assemblée nationale française, Jean-Jacques Bridey, en insistant "la légalité morale" des frappes envisagées.

"Au nom de quoi la France, les USA auraient-ils le droit de bombarder un Etat, au nom de quoi?", s'insurge Didier Billion, expert à l'Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS). "La légalité morale, c'est le piège absolu, parce que ce qui est moral pour vous ne l'est pas pour moi, etc… C'est un écran de fumée insupportable".

"On s'affranchit du droit international avec pour objectif annoncé de le faire respecter", commente Patrick Baudouin, avocat et président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH).

"Cela répond à l'idée qu'il y aurait une sorte de droit international humanitaire relevant de la +responsabilité de protéger+. Mais ce n'est pas une notion gravée dans le droit international", souligne-t-il.

"Responsabilité de protéger, droit d'ingérence: ce sont des concepts vides de toute notion de droit qui permettent de justifier l'emploi de la force en dehors de tout cadre de responsabilité", renchérit Françoise Saulnier de MSF.

"Ce qui est dangereux c'est que l'Occident, déjà engagé en Syrie dans une guerre contre des acteurs non étatiques, est en train de prendre le risque d'une escalade vers un conflit international d'Etat à Etat, pour potentiellement retrouver une place à la table des négociations" sur la résolution du conflit syrien, ajoute la magistrate.

"A force d'entorses à la légalité internationale, nous sommes en train de solder les acquis juridiques de la Seconde guerre mondiale", déplore-t-elle, en dénonçant une "diplomatie de la canonnière".

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