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GPA et filiation: la question de la "mère d'intention" soumise à la Cour de cassation

La mère "d'intention" d'un enfant né par gestation pour autrui à l'étranger, celle qui l'a désiré, élevé mais n'en a pas accouché, peut-elle être reconnue comme sa seule mère dans le droit français ? Saisie de cette question délicate, la Cour de cassation se prononcera le 5 octobre.

Réunie en sa formation la plus solennelle, l'assemblée plénière, la haute juridiction a réexaminé vendredi le cas devenu emblématique des époux Mennesson, qui demandent depuis 18 ans que leur lien de filiation avec leurs jumelles soit reconnu.

Depuis 2000 et la naissance de Fiorella et Valentina par gestation pour autrui (GPA) en Californie, où ce procédé est légal, Sylvie et Dominique Mennesson, installés en région parisienne, cherchent à obtenir la transcription pure et simple en droit français des actes de naissance américains où ils apparaissent comme père et mère.

Si les filles ont fini par obtenir des passeports français, les parents ont "l'interdiction d'utiliser" leur livret de famille, résumait auprès de l'AFP cette semaine Sylvie Mennesson. D'éventuelles questions d'héritage et de droits de succession peuvent aussi se poser à ce stade.

Après une première série de recours, le couple avait essuyé un refus de la Cour de cassation en 2011, mais avait ensuite fait condamner la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en 2014, décision ayant ouvert la voie à ce réexamen, en vertu d'une procédure étrennée pour l'occasion.

Depuis, la jurisprudence de la Cour de cassation a changé: les enfants nés par GPA à l'étranger peuvent avoir deux parents légaux en France, une reconnaissance devant toutefois passer par une procédure d'adoption dite "simple", qui ne gomme pas l'origine de l'enfant, pour le conjoint du parent biologique.

La reconnaissance de l'entière paternité de Dominique Mennesson paraît aujourd'hui acquise: la mère porteuse a reçu des embryons issus de ses spermatozoïdes et il est donc le père biologique.

C'est plus compliqué pour Sylvie Mennesson, la mère porteuse ayant reçu un don d'ovocytes d'une amie du couple. Selon un vieux principe de droit romain repris par la loi française, la mère est celle qui accouche et non la "mère d'intention", qui désire et élève l'enfant, d'où la solution préconisée, celle de l'adoption.

- "Absurde" -

Pourtant, tant sur les actes de naissance californiens des jumelles que dans la réalité, "Sylvie Mennesson est la seule mère !", a souligné l'avocat des parents, Patrice Spinosi. "La mère porteuse n'a aucune existence juridique, aucun droit".

Depuis que Fiorella et Valentina sont nées, "c'est Sylvie Mennesson qui les a bercées, qui leur a appris à parler".

Selon lui, seule la solution d'une reconnaissance de la filiation des deux parents protège l'intérêt des enfants, pas l'adoption qui créerait en outre une "parenté à deux vitesses".

Le couple lui-même estime que "cette solution d'adopter son propre enfant est légalement impossible", selon Mme Mennesson. "C'est totalement absurde, parce que la seule mère qui figure sur l'acte de naissance, c'est moi".

Leur avocat a donc demandé à la Cour de reconnaître la filiation s'agissant des deux parents ou, en cas de doute au sujet de la mère, d'interroger la CEDH avant de se prononcer.

L'avocat général, pour sa part, a estimé qu'il n'est "pas nécessaire" de demander l'avis de la CEDH et, sans surprise, a préconisé une transcription s'agissant uniquement du père, ce qui permettrait déjà "de sortir les enfants du non-droit".

Selon ce magistrat, "l'intention (de la mère) ne suffit pas pour donner un statut d'état civil", et l'abandon par la mère porteuse de ses droits sur l'enfant ne peut pas primer sur le droit romain: les actes de naissance américains des filles "ne sont pas conformes à la réalité factuelle" puisqu'ils omettent l'existence de celle qui a accouché.

"Tant que la législation est ce qu'elle est, il faut préserver les fondamentaux de l'acte d'état-civil comme porteur de faits avérés", a-t-il conclu.

"Dans cette matière, vous n'avez rien à attendre du législateur parce qu'il est tétanisé par ces questions", a répliqué l'avocat des parents à l'adresse des magistrats. "C'est à vous de dire le droit".

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