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Inde: l'avenir incertain des exclus du registre des citoyens d'Assam

Des collines du Bangladesh où il est né il y a plus d'un demi-siècle, Nimai Hajong ne conserve presque aucun souvenir. Réfugié en Inde depuis sa petite enfance, il figure pourtant parmi les quatre millions d'exclus potentiels d'un controversé registre de citoyenneté indien.

"Qu'allons-nous faire maintenant? Nous considérons cette terre comme notre maison depuis 1964, nous n'avons nulle part où aller", se lamente-t-il lorsque que l'AFP le rencontre dans un campement pauvre situé à une trentaine de kilomètres de Guwahati, principale ville de l'Assam.

Ce grand État du nord-est de l'Inde met à jour, au nom de la lutte contre l'immigration illégale du Bangladesh frontalier, son Registre national des citoyens (NRC). Celui-ci pourrait, en déclarant par omission des millions de personnes comme étrangères, les rendre apatrides de fait.

Le NRC recense les habitants d'Assam capables de prouver que leur présence est antérieure à 1971, année où des millions de personnes s'y étaient réfugiées en provenance du Bangladesh en pleine guerre d'indépendance.

Ses détracteurs soupçonnent toutefois les nationalistes hindous du Premier ministre Narendra Modi, dont le Bharatiya Janata Party (BJP) gouverne actuellement la région, de profiter de ce recensement pour s'en prendre aux minorités - notamment musulmane, qui représente un tiers de la population.

Mosaïque d'ethnies régulièrement secouée par des violences intercommunautaires, l'Assam est le seul État d'Inde à posséder un tel registre.

Sur la liste provisoire publiée fin juillet, quatre millions de personnes, sur les 30 millions qui ont demandé à y figurer, manquent à l'appel. Le registre définitif ne sera pas finalisé avant décembre.

- "Vrai Indien" -

Pour Nimai et les siens, issus de la tribu indigène hindoue des Hajongs de la région bangladaise de Chittagong (sud), le choc fut rude en ne trouvant pas leurs noms. Ils avaient pourtant, pour cela, soumis les papiers qui leur permettent de rester en Inde depuis plus de cinquante ans.

"Nous avons vécu ici toutes ces années en tant que réfugiés, mais je veux mourir en Indien", dit l'homme de 58 ans, qui a fui sur le dos de sa mère les persécutions au Bangladesh à l'âge de cinq ans.

Les autorités indiennes ont essayé de calmer les inquiétudes, alors que plusieurs organisations de défense des droits de l'Homme ont dressé un parallèle entre cette situation et celle des Rohingyas, minorité musulmane persécutée en Birmanie qui s'est retrouvée de facto apatride en 1982.

"Aucun vrai Indien ne doit s'inquiéter" s'il ne figure pas encore sur la liste, ont assuré les officiels indiens, mettant en avant les possibilités de procédures d'appel.

Ces garanties rassurent cependant peu les oubliés du registre. Ils craignent que leurs vies ne se perdent dans des limbes juridiques, voire d'être déportés au Bangladesh - un pays complètement étranger pour certains.

C'est le cas de Gunamoni Dalu, pourtant née en Inde en 1968 mais absente de la liste, dont la famille a dû quitter le Bangladesh avant sa naissance. "On m'a dit qu'il y a eu un massacre là-bas, forçant mes parents à fuir avec d'autres personnes leur village", explique cette femme hajong.

- Sujet explosif -

Région verdoyante aux plantations de thé et climat doux, l'Assam a aussi sa face sombre. La région est sporadiquement secouée par de terribles violences entre autochtones et migrants.

En une seule journée de 1983, près de 2.000 migrants présumés ont ainsi été tués dans le massacre de Nellie. La plupart des victimes étaient musulmanes, et beaucoup d'enfants comptaient parmi les morts.

L'immigration est un sujet explosif en Assam. Le BJP est arrivé aux commandes de cet État en 2016 fort de la promesse d'expulser les migrants illégaux et de protéger les droits des communautés locales.

Avant même l'afflux de millions de personnes durant la guerre de 1971, plusieurs vagues de réfugiés bangladais - dont les Hajongs hindous et les Chakmas bouddhistes - étaient déjà passées en Inde. Nombre d'entre eux se sont installés en Assam.

Les migrants sont accusés d'accaparer de la terre et des emplois, ce qui cause des tensions avec les locaux.

Le registre des citoyens a provoqué de vives protestations de l'opposition au Parlement indien et fait craindre de nouveaux troubles. En prévention, les autorités ont déployé en renfort 25.000 membres de forces de sécurité.

Robin Koch, Hajong de 55 ans dont la famille a franchi la frontière en 1964, espérait que la processus de recensement allait "arrêter une bonne fois pour toute notre identité indienne".

"Je n'arrive plus à manger et à dormir la nuit", confie-t-il, au comble du désespoir.

La perspective d'un retour au Bangladesh, de gré ou de force, lui est inenvisageable: "après que nos parents s'en sont échappés, nous avons perdu tout lien avec notre clan. Nous n'avons plus personne là-bas maintenant."

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