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Iouri Ganous, le tsar de l'antidopage russe qui accuse Moscou

En Russie, où dénoncer les turpitudes du pouvoir peut s'avérer périlleux, la véhémence du patron de l'antidopage surprend, tant Iouri Ganous pourfend la triche sportive organisée, selon lui, par les autorités.

"C'est dangereux mais c'est ma mission", répond le chef de l'agence nationale Rusada lorsque l'AFP lui demande s'il n'a pas peur, lui qui accuse en termes à peine voilés le ministère des Sports ou le puissant Comité d'enquête de Russie d'avoir joué un rôle dans la falsification de données transmises à l'Agence mondiale antidopage (AMA).

Pourtant, dans l'univers de l'antidopage, on s'interroge encore sur les morts soudaines de deux de ses prédécesseurs, Nikita Kamaïev et Viatcheslav Sinev, après les révélations en 2015 sur le dopage institutionnel en Russie. L'ancien patron du labo antidopage de Moscou, Grigori Rodtchenkov, vit lui caché aux Etats-Unis.

Mais quand on s'inquiète pour sa sécurité, Iouri Ganous proclame être "partisan de l'attaque, d'être en mouvement. On ne gagne jamais en jouant en défense", selon le site spécialisé Sports.ru

D'entretiens en discours, d'articles en lettres ouvertes, il interpelle donc Vladimir Poutine, attaque le ministre des Sports, éreinte la diplomatie russe qui répand la thèse d'un complot occidentalo-médiatique.

- Mettre de l'ordre -

"La Russie doit mettre de l'ordre dans sa propre maison", disait-il fin octobre à l'AFP, prédisant une exclusion de la Russie des JO-2020 et 2022. Peu après, l'Agence mondiale antidopage annonçait qu'elle se prononcerait le 9 décembre sur une exclusion du géant russe pour quatre ans du sport mondial, notamment des Jeux olympiques.

Le ministre des Sports ne cache guère son agacement à l'égard de ce trublion, à l'aise devant les caméras et dans les congrès de spécialistes. "Les manipulations dont le chef de Rusada parle n'existent pas", déclarait en novembre Pavel Kolobkov.

Dans son bureau à Moscou, Iouri Ganous pointe fièrement une affiche montrant un brise-glace baptisé Rusada, ouvrant la voie, sous un ciel de feu, à une foule de sportifs propres.

Ce grand gaillard grisonnant de 55 ans, qui sait alterner sourire charmeur et regard implacable, n'a à l'origine rien à voir avec le sport. Si ce n'est que durant "ma jeunesse, j'ai fait de lutte puis du handball", a-t-il expliqué à l'AFP, montrant ses grandes poignes.

Etudes de droit, ambition de carrière judiciaire avant de finalement faire des affaires dans les transports, Iouri Ganous est arrivé à Rusada en 2017, sans expertise sportive ou scientifique.

A l'époque, on cherchait une figure capable de rétablir la confiance en bâtissant une Rusada indépendante, la précédente agence ayant été un acteur central du dopage russe.

- Partition bien orchestrée -

Ganous dit avoir répondu à une simple annonce sur un site de recrutement. Un comité d'experts le choisit parmi quelques centaines de candidats, raconte Sports.ru.

Interrogé sur les raisons de sa candidature, Iouri Ganous assure avoir été ému par le sort des sportifs propres, "en particulier les handicapés", exclus de compétitions et de leurs rêves à cause de la malhonnêteté d'autres.

Dans le monde de l'antidopage, cette image de Monsieur Propre ne passe pas partout. Certains, pointant du doigt la ruse et la duplicité de Moscou, accusent M. Ganous d'être l'acteur d'un plan machiavélique.

Selon cette thèse, en posant Rusada en victime des autorités, l'agence antidopage russe ne pourra, d'un point de vue juridique, être tenue responsable des falsifications de données par l'AMA et le Tribunal arbitral du sport (TAS). Par ricochet, il ne pourrait y avoir de conséquence sportive et les Russes iraient aux JO de Tokyo-2020.

"La meilleure défense c'est de donner l'illusion de son indépendance (...) mais il n'est pas indépendant, ou alors il aurait souffert de conséquences en rentrant en Russie", affirme Travis Tygart, patron de l'antidopage américain, Usada, ennemi juré de la Russie.

"Je pense que c'est une partition, une partition très bien orchestrée", assène-t-il à l'AFP.

Un autre acteur de l'antidopage assure le contraire. "Je veux croire que Iouri Ganous est sincère" car sous sa direction, Rusada a fait d'"énormes progrès dans ces procédures et vers plus d'indépendance".

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