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Jean-Claude Juncker: l'Europe comme credo, le compromis comme méthode

Grèce. Migrations. Brexit. À la tête de la Commission européenne depuis 2014, Jean-Claude Juncker, qui prononce mercredi son dernier discours annuel de l'Union avant les élections de 2019, a traversé la "multicrise" de l'UE avec un art consommé du compromis et le calme des vieilles troupes.

Mais en réalité, rétorquent ses détracteurs, le pragmatisme consensuel du Luxembourgeois n'aura fait qu'incarner l'impuissance de l'UE.

Derrière son apparente bonhommie et un tempérament facétieux, se cache une personnalité complexe, fantasque, controversée même, qui ne s'est pas fait que des amis durant sa longue carrière politique.

Né dans l'Europe de l'après-guerre, le 9 décembre 1954, de parents éprouvés par le conflit mondial, cet apôtre de la construction européenne se veut l'héritier des pères fondateurs, même s'il a dû mettre de l'eau dans son vin fédéraliste face aux États-nations et à l'euroscepticisme.

Son credo: "L'Europe est capable de grandes choses lorsqu'elle sait unir ses forces et ses énergies".

M. Juncker en sait quelque chose, lui qui est originaire du Luxembourg, le plus petit membre fondateur de l'UE, au carrefour du Vieux continent, entre Ouest et Est, Nord et Sud. De fait, il est resté attentif au sort des petits États face au "diktat" des grands.

L'ex-Premier ministre du Grand-Duché (1995-2013) a côtoyé tous les dirigeants européens depuis François Mitterrand et Helmut Kohl, "son mentor, son ami, l'essence même de l'Europe", décédé en juin 2017.

-Un 'arc-en-ciel politique'-

S'il appartient à la famille démocrate-chrétienne, il est "un arc-en-ciel politique à lui tout seul", résume une source européenne. Ce fils d'ouvrier sidérurgiste "est le chrétien-démocrate le plus socialiste qui existe", a dit de lui Daniel Cohn-Bendit.

Habitué des "grandes coalitions" avec les sociaux-démocrates, avec lesquels il a pratiquement toujours gouverné, le Luxembourgeois a toujours fait preuve d'un sens aigu de la négociation et de l'équilibre.

Il a encore prouvé son habileté de tacticien en parvenant à arracher, à la surprise générale, une trêve commerciale avec Donald Trump fin juillet à la Maison Blanche.

L'oeil malicieux derrière des lunettes de bureaucrate, il est redouté pour son humour acerbe et son franc-parler, jamais avare de piques ni de bons mots.

Mais, obsédé par le déclin de l'Europe ("à la fin de notre siècle, nous représenterons 4% de la population mondiale"), il est aussi connu pour ses coups de blues, ses "doutes", ses sombres prophéties et ses emportements.

Il faut dire qu'à son entrée en fonction, le 1er novembre 2014, il avait pour ambition de faire remonter la confiance des opinions publiques dans le projet européen. Grâce à une Commission européenne résolument "politique".

Or, il se retrouve aujourd'hui à planifier le divorce sans précédent d'un État membre.

Ce n'est pas sa première épreuve. Il a vécu la profonde transformation de l'Union, l'échec du traité constitutionnel en 2005 et l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne quatre ans plus tard. Puis la naissance de la monnaie unique, la crise de la dette et le sauvetage de l'euro, une tâche à laquelle il s'est consacré en dirigeant l'Eurogroupe (2005-2013) qui réunit les grands argentiers de la zone euro.

- "Roi fainéant" -

Il y a ceux qui l'aiment bien. "C'est la bonne personne à la bonne place. On connaît Jean-Claude, c'est quelqu'un qui est émotif, qui dit les choses et qui a des relations personnelles fortes, c'est quelqu'un qui est entier, c'est pas quelqu'un qui dit les choses à moitié", témoigne celui qui lui a succédé au poste de Premier ministre à Luxembourg, Xavier Bettel.

Et puis ceux qui ne l'aiment pas, comme Eva Joly, l'eurodéputée verte, qui s'en est pris au chef de la commission dans un réquisitoire au vitriol, intitulé "Le Loup dans la bergerie".

"Il se réclame de Delors mais, à l'inverse de celui-ci, c'est un homme qui s'accommode de l'impuissance européenne, un roi fainéant", accuse-t-elle, en le qualifiant de "M. Nobody" et de "petit gris".

Beaucoup lui reprochent d'avoir accordé secrètement des largesses fiscales aux multinationales lorsqu'il dirigeait le Luxembourg (affaire LuxLeaks).

Et puis il y a le personnage qui embarrasse, qui provoque. Ce fumeur invétéré est en mauvaise santé, il est porté sur la bouteille, selon la rumeur insistante. En juillet, il a invoqué une sciatique pour expliquer sa démarche vacillante avant une réception de l'OTAN.

Il reconnaît lui-même être "rancunier". Il a un petit carnet noir, qu'il appelle "Le Petit Maurice", dans lequel il note depuis 30 ans "chaque fois que quelqu'un [le] trompe", comme il l'a confié au quotidien belge Le Soir durant l'été 2016.

Et entêté: il a récemment défendu, contre vents et marées, la promotion éclair controversée de son bras droit Martin Selmayr à la tête de l'administration de la Commission.

Politicien jusqu'au bout des ongles, il se refuse à parler de "testament", même s'il a fait savoir qu'il ne briguerait pas de second mandat après 2019.

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