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Jihadiste ou malade psy? La difficulté de juger une tentative d'attaque à la Tour Eiffel

Mamoye D. sautillait sous la Tour Eiffel, tournait sur lui-même armé d'un couteau en criant "Allah akbar": ce jeune homme de 21 ans, qui a fait dès son adolescence de nombreux séjours en hôpital psychiatrique, a été condamné mardi à Paris à quatre ans de prison pour avoir tenté d'attaquer des militaires.

"Vous êtes dangereux Monsieur", dit au prévenu Isabelle Prévost-Desprez, la présidente de la 16e chambre qui juge les affaires de terrorisme. Mais elle enchaîne et évoque sa "vulnérabilité". La juge ordonne un suivi socio-judiciaire pendant dix ans, avec notamment une injonction de soin.

Le 5 août 2017, Mamoye D. avait une permission de sortie de son hôpital psychiatrique. Quand son père a refusé de lui acheter un smartphone, il s'est mis en colère, puis il est parti à la Tour Eiffel, armé d'un couteau. Les militaires, qu'il visait, l'ont rapidement interpellé après ses menaces.

Quelques heures plus tard, en garde à vue, il affirmait être en relation avec des membres du groupe Etat islamique en zone irako-syrienne (ce qui était faux). Et il déclarait: "Si j'avais tué des militaires, j'aurais crié la victoire de Daesh contre la France. (...) Je voulais les décapiter".

Un expert a conclu dans ces premières heures de l'enquête à l'abolition du discernement. "Il doit réintégrer son unité d'hospitalisation", disait-il. Mais au cours de l'instruction, deux autres expertises psychiatriques n'ont retenu qu'une altération du discernement, ouvrant la voie à un procès.

"Ce type de personnalité pose toujours de délicats problèmes médico-légaux. Mamoye D. ne peut pas être simplement considéré comme un malade à soigner ou comme un délinquant à punir", expliquait le Dr Daniel Zagury. Il "ne cesse de revendiquer son geste. (...) Ne pas l'entendre, c'est prendre le risque d'une surenchère", ajoutait-il.

- "Pensée variable" -

"Un expert dit que ça serait une erreur de ne pas vous écouter. Qu'en pensez-vous?", interroge la juge. "Hein? J'ai pas compris. Je sais pas", répond le prévenu, un jeune homme arrivé en France après avoir passé son enfance en Mauritanie.

La magistrate répète calmement ses questions pour tenter d'obtenir des réponses suffisamment claires.

Après avoir interrogé le prévenu, son avocate Adèle Vanhaecke se tourne vers Isabelle Prévost-Desprez: "J'espère que vous voyez que Mamoye répond +oui+ ou +non+ en fonction de ce qu'il pense qu'on attend de lui".

La présidente acquiesce: "Oui, je sais. (...) Mais parfois, il comprend très bien. D'autres fois, sa pensée est variable".

Avant même d'être majeur, Mamoye D. a eu plusieurs fois affaire à la justice pour des vols, des violences, mais ces dossiers se sont conclus par des ordonnances de non-lieu pour irresponsabilité pénale et des hospitalisations d'office.

Sa radicalisation apparait juste après l'attentat contre Charlie Hebdo. Le 11 janvier 2015, il tente de voler un scooter et explique que c'est pour financer son départ en Syrie. Le 1er juillet 2015, il menace de poignarder des agents de sûreté ferroviaire en criant "Allah Akbar". Le 30 mars 2017, il agresse une touriste et menace des forces armées.

"Est-ce que c'est l'attentat contre Charlie Hebdo qui vous a donné l'envie (...) de faire des attentats?, interroge Mme Prévost-Desprez.

- Oui.

- Pouvez-vous l'expliquer ou c'est difficile?

- Au début, après l'attentat, je trouvais que c'était pas bien. Après, j'étais énervé, je voulais venger les frères Kouachi et Amedy Coulibaly". Le prévenu affirme ne plus soutenir le groupe Etat islamique: "La prison, ça m'a fait beaucoup réfléchir; ça m'a appris à vivre ensemble".

Le parquet a requis la peine maximale: six ans d'emprisonnement avec une période de sûreté des deux tiers. "Certes, ce n'est pas une radicalisation réfléchie. (...) Mais je m'inquiète. Il y a une multiplication des passages à l'acte et une gradation des faits. La prochaine fois, jusqu'où va-t-il aller?", a interrogé la procureure.

"Vous jugez un handicapé mental. Ce n'est pas un terroriste", a plaidé l'avocate du prévenu. "C'est inquiétant, je ne le nie pas, mais les personnes vulnérables, on les protège. L'incarcérer avec des personnes radicalisées, car c'est son cas actuellement, ce n'est pas le protéger".

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