Accueil Actu

Journalistes de Reuters accusés en Birmanie: refus de non-lieu, indignation internationale

Deux reporters birmans de l'agence de presse Reuters accusés d'"atteinte au secret d'Etat" pour avoir enquêté sur un massacre de musulmans rohingyas par l'armée se sont vu refuser lundi un non-lieu, Amnesty International dénonçant "une journée noire" pour la liberté de la presse.

Le juge birman en charge de leur affaire a annoncé avoir décidé d'ouvrir leur procès "en vertu de la loi sur le secret d’État", devant une salle d'audience bondée, de proches et de nombreux journalistes dont l'AFP.

Wa Lone, 32 ans, et Kyaw Soe Oo, 28 ans, sont accusés par la police de détention de documents relatifs aux opérations des forces de sécurité birmanes dans l'ouest du pays, en Etat Rakhine, théâtre du drame rohingya, qui relève de "l'épuration ethnique" selon l'ONU.

Mis en examen pour "atteinte au secret d’État", les deux reporters sont en détention préventive depuis décembre 2017, soit sept mois.

Ils risquent une peine de 14 ans, au terme du procès qui doit s'ouvrir le 16 juillet, dans ce pays où les militaires, au pouvoir pendant des décennies, continuent de tirer de nombreuses ficelles malgré l'arrivée au pouvoir en 2016 du gouvernement civil de la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi.

"Nous n'avons rien commis de mal", s'est indigné Wa Lone devant la presse, après l'énoncé de la décision du juge.

"Le tribunal ne nous a pas jugés coupables. Nous avons le droit de nous défendre", a ajouté le jeune journaliste, combatif, assurant "ne pas abandonner", avant son retour à la prison.

Semblant très affaibli, Kyaw Soe Oo, de son côté, n'a rien dit.

Stephen J. Adler, rédacteur en chef de Reuters, a insisté dans un communiqué sur le fait que ces journalistes "faisaient leur travail, de façon indépendante et impartiale" au moment de leur enquête. "La décision d'aujourd'hui jette un sérieux doute sur l'engagement de la Birmanie en faveur de la liberté de la presse et de l’État de droit" a-t-il estimé.

Cette décision judiciaire "montre à quel point les réformes démocratiques sont fragiles", a aussi critiqué l'ONG internationale Human Rights Watch, dénonçant le fait qu'Aung San Suu Kyi n'a pas fait supprimer la loi sur le "secret d'Etat".

"C'est une journée noire pour la liberté de la presse en Birmanie", a réagi Amnesty International.

"Le Parquet n'a pas présenté de preuves crédibles pendant les six mois d'audiences préliminaires", a critiqué la Commission internationale de Juristes (ICJ), qui suit le dossier de près, inquiète quant à "l'indépendance de la justice dans des affaires politiquement sensibles".

- Soldats condamnés après leur enquête -

Les deux reporters birmans enquêtaient sur un massacre dans le village de Inn Dinn. Quelques jours après leur arrestation, l'armée avait reconnu que des soldats et des villageois bouddhistes avaient tué de sang-froid des captifs rohingyas le 2 septembre 2017. Sept militaires ont été condamnés à dix ans de prison pour ce massacre.

"Nous avons révélé cette affaire en enquêtant dans le respect de l'éthique journalistique", s'est défendu Wa Lone lundi.

En dépit des pressions internationales, avec l'avocate Amal Clooney, épouse de l'acteur américain George Clooney, rejoignant la défense sans toutefois se rendre en Birmanie, la justice a maintenu les poursuites.

L'armée et les milices bouddhistes sont accusées d'épuration ethnique des Rohingyas dans l'ouest de la Birmanie par les Nations unies, ce qui a poussé à l'exil au Bangladesh plus de 700.000 membres de cette minorité.

Les nombreuses audiences préliminaires organisées ces derniers mois ont été marquées par le revirement d'un policier.

Moe Yan Naing, qui était au départ un témoin à charge, avait en effet surpris le 20 avril en expliquant à l'audience que la police avait tendu un piège aux reporters en leur faisant remettre un document compromettant. Les avocats de la défense avait tout de suite salué son courage et les risques qu'il prenait à témoigner ainsi.

Il avait peu après été condamné à un an de prison, officiellement pour avoir donné des informations aux journalistes. La police avait nié tout lien entre les deux événements, affirmant que c'était une "coïncidence".

Quelques jours après l'arrestation des journalistes, l'armée a reconnu que des soldats et des villageois bouddhistes avaient tué de sang-froid des captifs rohingyas le 2 septembre 2017 dans le village objet de l'enquête de Reuters.

Depuis, sept militaires ont été condamnés à dix ans de prison pour ce massacre.

À lire aussi

Sélectionné pour vous