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L'accès à la justice, un parcours semé d'embûches pour les personnes handicapées

Pouvoir faire valoir ses droits comme tout justiciable, être entendu comme citoyen et non comme "handicapé en incapacité" ou simplement pouvoir se rendre au tribunal: le parcours des personnes handicapées pour un égal accès à la justice reste semé d'embûches.

"La majorité des personnes handicapées ne vont pas vers la justice parce qu'il y a des soucis d'accessibilité mais aussi par peur des préjugés", affirme Anne-Sarah Kertudo, juriste non-voyante et présidente de l'association Droit pluriel. Elle milite pour une "justice accessible à tous" et a réalisé un film sur le sujet.

"Je suis tombé sur une juge qui avait beaucoup d'a priori sur le handicap", témoigne Michaël dans "Parents à part entière!", projeté aux professionnels du droit dans le cadre d'une tournée nationale de sensibilisation. "Elle m'a dit +si vous ne voyez pas ce que j'ai dans la main vous n'êtes pas capable de vous occuper d'un petit+", rapporte-t-il de son audience de divorce.

D'autres se sont vu demander des certificats attestant pouvoir laver, nourrir ou soigner leur enfant, d'après les témoignages recueillis par Mme Kertudo, qui dénonce "une présomption d'incapacité" des personnes handicapées.

Or ce sont "avant tout des sujets de droit", rappelle Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées, lors du premier "Grenelle droit et handicap" organisé récemment à Paris par le Conseil national des barreaux (CNB). Mme Gillot déplore que les "juges suivent trop souvent aveuglément les avis implacables des rapports sociaux" sans prendre en compte les compensations mises en place par les personnes handicapées dans leur vie quotidienne.

Ces dernières années, le handicap est devenu le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discriminations (23% des réclamations en 2018), devant les critères d'origine ou de l'âge, s'inquiète Jacques Toubon, qui dit être également sollicité pour des conditions inadaptées de garde à vue ou d'interpellation de personnes handicapées.

"On manque de connaissances sur le monde du handicap. Il faut nous former les uns les autres sur ces questions", a reconnu Clotilde Lepetit, ancienne présidente de la commission Egalité et lutte contre les discriminations au sein du CNB, avec d'autres avocats.

- "Opération commando" -

D'un "système de protection" qui infériorise les personnes en situation de handicap, nous évoluons vers "un système de décision accompagnée où la personne participe activement", appuie Sophie Rattaire, du Comité interministériel du handicap.

Mais pour rendre universel l'accès aux droits, il s'agit aussi de réaliser l'accessibilité matérielle de la justice.

Lors d'une "opération commando" menée en février dans le nouveau palais de justice de Paris (XVIIe arrondissement), Droit pluriel a pointé différents manquements comme des portes trop lourdes ou un système d'audioguidage qui ne fonctionne pas, mais aussi des "questions oubliées": comment un avocat et/ou son client handicapé peuvent-ils communiquer au niveau du box des accusés?

M. Toubon relève des "efforts considérables à faire" face à une "culture de retard" en France où les objectifs des agendas d'accessibilité des établissements publics n'ont toujours pas été atteints.

Les difficultés concernent différentes structures parmi lesquelles les tribunaux, les cabinets d'avocat ou les locaux de police, freinant ainsi les démarches de dépôt de plainte.

D'après le ministère de la Justice, six millions de mètres carrés de patrimoine (1.770 sites) doivent être mis en accessibilité.

Certaines procédures judiciaires dématérialisées ne sont pas non plus ouvertes à tous les types de handicap, malgré l'obligation d'accessibilité des services publics née de la loi de 2005.

"La loi de 2005 a permis des avancées", souligne Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB. Mais "qui mieux que les professionnels du droit peut aider à franchir une nouvelle étape d'intégration" et assurer un "égal accès à tous les droits"?, interroge-t-elle, encourageant la formation de tous les professionnels de la justice au handicap.

"Grâce au levier du droit, peut-être pourrons-nous arriver à soulever la montagne d'indifférence, de négligence, d'ignorance qui s'oppose encore à ce que les personnes handicapées puissent voir tous leurs droits fondamentaux reconnus", appuie Jacques Toubon.

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