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L'économie polonaise manque de bras... et regarde vers l'Est

Au volant de sa Mercedes toute neuve, un entrepreneur polonais contemple pensivement l'affiche ornant l'arrière d'un bus municipal devant lui: "Bâtisseurs, soudeurs. Travailleurs d'Ukraine et du Bangladesh".

"Pour le moment nous prenons surtout les Ukrainiens et quelques Bélarusses", dit l'homme qui gère une entreprise de logistique à Varsovie. "On n'a pratiquement plus de Polonais, ils travaillent tous en Allemagne ou en Grande-Bretagne".

Il préfère ne pas se nommer, ni son entreprise. "Question d'image", dit-il sans sourire.

Cette situation ne peut que s'aggraver, selon les démographes, et mettre en péril la croissance de l'économie polonaise, rapide et, exception remarquable, ininterrompue depuis la chute du communisme en 1989.

Les projections sont sombres. La génération du baby-boom des années 50, qui avait vu 800.000 naissances par an, est en train de quitter le marché du travail. Celle des années 90 qui arrive, représente environ la moitié de ce chiffre. S'y ajoute l'émigration de travailleurs qualifiés vers l'Europe de l'Ouest, où les salaires sont meilleurs.

D'après les prévisions d'experts, basées sur les projections de l'Office central des statistiques, à l'horizon 2030 un emploi sur cinq sera vacant. L'économie polonaise aura besoin de 20 millions de travailleurs, mais la population active tombera à 16 millions de personnes.

Ni le réservoir de main d’œuvre des campagnes - l'agriculture, comptant des millions de petites exploitations, emploie relativement plus de travailleurs qu'en France ou en Allemagne - ni l'embauche de chômeurs, de moins en moins nombreux (6,6% de la population active en mars 2018), ni les retraités réembauchés, ne pourront y remédier.

Dans le BTP, le déficit atteint d'ores et déjà environ cent mille personnes, confirme à l'AFP le vice-président de l'Union polonaise des Employeurs du Bâtiment, Rafal Baldys Rembowski.

Le numéro un du secteur, Budimex (du groupe espagnol Ferrovial) voudrait embaucher mille personnes, indique son porte-parole Krzysztof Koziol.

- Du mal à embaucher -

"Nous ressentons un déficit de main d’œuvre dans notre entreprise, dit-il à l'AFP, mais tout aussi bien chez nos sous-traitants qui s'en plaignent. Parfois ils nous proposent de fournir des engins en précisant qu'ils n'ont personne pour les piloter. On manque de travailleurs pratiquement dans toutes les professions: maçons, charpentiers, bétonniers, plâtriers, paveurs, chauffeurs, conducteurs d'engins. Les contremaîtres et les ingénieurs manquent aussi."

Les chaînes de la grande distribution - dont beaucoup de françaises, entre Auchan, Carrefour et Leclerc - n'ont pas eu à licencier du personnel lorsqu'une loi leur a imposé de fermer leurs magasins le dimanche. "On a plutôt du mal à embaucher", reconnaît un responsable qui préfère garder l'anonymat.

Du coup, la Pologne (qui a fermé sa porte aux réfugiés pour des raisons de sécurité) doit repenser sa politique d'immigration, reconnaît le ministre des Investissements et du Développement Jerzy Kwiecinski.

"Notre économie a d'ores et déjà besoin de travailleurs étrangers et à l'avenir on en aura besoin de plus en plus", a-t-il dit lors d'une conférence de presse fin mars.

Le gouvernement a adopté un document intitulé "Priorités sociales et économiques de la politique migratoire". Il s'agit de l'adapter aux besoins du marché du travail et de favoriser l'entrée des professionnels qui manquent en Pologne, d'inciter les Polonais émigrés à rentrer au pays, y compris avec leurs entreprises, et de freiner la fuite de la main d’œuvre.

- Sept mille Népalais -

Le gouvernement veut aussi faciliter l'accès des étrangers aux études supérieures dans les secteurs importants pour l'économie, développer pour eux l'enseignement du polonais et simplifier les formalités grâce au système de "guichet unique".

Certes, les étrangers, et notamment les Ukrainiens, n'ont pas attendu ces mesures pour affluer en Pologne, parfois sans permis de travail ni visa, mais dans ce cas les régulations en vigueur les contraignent à retourner chez eux au bout de trois mois, avant de repasser à nouveau la frontière polonaise trois mois plus tard. Et s'ils travaillent au noir, ils risquent une amende.

Selon les estimations de la banque centrale polonaise NBP, un million d'Ukrainiens travaillent actuellement en Pologne et ce chiffre augmentera de 200.000 à 300.000 au cours des prochaines années.

D'après le ministère de la Famille, du Travail et de la Protection sociale, la Pologne a délivré l'an dernier aux étrangers plus de 235.000 permis de travail, dont plus d'un quart octroyés aux femmes. Les Ukrainiens sont les plus nombreux, avec 192.547 permis, les Bélarusses suivent loin derrière, avec 10.518 autorisations. Le troisième groupe national sont, signe des temps, les 7.075 Népalais.

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