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L'IFA, incarnation d'une opposition citoyenne face à Trump

Un petit bureau et une salle de réunion au 71e étage de l'Empire State Building, attenants aux locaux d'un grand cabinet d'avocats. Dans l'entrée, quelques affiches sous verre qui célèbrent "Nous, le peuple", les premiers mots de la Constitution américaine.

L'association Integrity First for America (IFA) n'emploie que cinq salariés, mais ses ambitions sont à la hauteur du célèbre gratte-ciel new-yorkais qui l'abrite: "empêcher l'érosion des valeurs démocratiques" américaines, menacées selon elle par l'administration Trump, explique son porte-parole, Brett Edkins, un avocat de 33 ans.

Loin des manifestations ou du Congrès, sans la notoriété d'organisations déjà anciennes comme l'American Civil Liberties Union, cette petite association incarne une nouvelle opposition citoyenne, en faisant collaborer avocats et journalistes, financés par de riches démocrates. Et après quelques mois d'existence, elle commence à montrer les dents.

Le premier résultat de son travail est apparu au grand jour en octobre, et ne vise pas directement l'administration Trump: grâce au financement de l'IFA, des avocats de renom emmenés par Roberta Kaplan ont assigné en justice, au nom de 10 personnes victimes des violences qui ont choqué les Etats-Unis en août dernier à Charlottesville, quelque 25 figures de proue et organisations emblématiques de l'extrême-droite américaine.

Tous sont accusés d'avoir planifié les violences et créé un climat de menaces et d'intimidations pour les habitants de cette petite ville de Virginie.

Cette action en justice pourrait prendre des années, mais l'IFA espère qu'elle garantira que "de tels groupes ne terroriseront plus jamais une ville américaine" et que "la haine et l'intolérance ne se banaliseront pas", dit Brett Edkins.

Ce premier dossier lancé, l'association en prépare un deuxième avec pour objectif une nouvelle assignation en justice d'ici le printemps, qui devrait avoir "un gros impact en 2018", selon M. Edkins.

Il affirme ne rien pouvoir dire de plus à ce stade, sinon que le dossier concerne les "liens financiers privés" qu'ont gardés le président et plusieurs personnes de son entourage - une des priorités de l'IFA.

Depuis l'investiture de Trump, les intérêts financiers du milliardaire, resté propriétaire de son empire immobilier, alimentent les soupçons de corruption et de conflits d'intérêt. L'IFA, mais aussi d'autres ONG, médias ou élus, cherchent à exposer les travers de cette situation inédite.

Salariés et administrateurs de l'IFA assurent cependant que leur bataille va au-delà de l'administration Trump.

- Fonds de la Silicon Valley -

L'élection du milliardaire "a exposé les faiblesses inhérentes à notre démocratie", explique Jeff Pillets, un journaliste d'investigation qui a quitté son journal du New Jersey pour rejoindre l'IFA.

"C'était inévitable: si ca n'avait pas été Trump, c'aurait été un autre", estime ce journaliste, qui a beaucoup enquêté sur les affaires de Jared Kushner, gendre et proche conseiller de Trump.

La façon dont s'est créée l'IFA illustre néanmoins le climat aux Etats-Unis après l'élection de Trump: beaucoup de ses opposants, sonnés par une victoire qu'ils avaient refusé d'envisager, se sont demandés comment se mobiliser.

L'idée de monter une association alliée à des cabinets d'avocats est venue du succès de l'"American Foundation for Equal Rights" qui, sur un modèle similaire, avait obtenu en 2010 l'annulation d'un référendum visant à revenir sur le droit au mariage pour tous en Californie, explique Brett Edkins.

Ensuite il a fallu trouver des fonds.

"Les premières contributions sont venues de la Silicon Valley", très hostile à Trump, et notamment du co-fondateur de LinkedIn Reid Hoffman, explique Monica Graham, présidente du conseil d'administration d'IFA.

Cette femme d'affaires, qui a elle-même apporté un million de dollars, fait partie d'un club de "Millionnaires Patriotiques" et progressistes, formé en 2010 pour lutter pour plus d'égalité et contre une trop grande concentration des richesses.

Lancée avec un budget de "2-3 millions de dollars" en 2017, l'IFA recherche de nouveaux contributeurs, y compris via le financement participatif de petits donateurs, dit Monica Graham.

"Je vais devoir bientôt refaire la quête", tant le coût des actions judiciaires est élevé aux Etats-Unis, dit-elle en riant.

Quelles seront les futures cibles de l'IFA? Ses membres confrontent leurs idées chaque semaine, lors de réunions téléphoniques, avant de se lancer dans des enquêtes en bonne et due forme.

"Plusieurs fois, on est parti sur une piste avant de se rendre compte que ça ne correspondait pas vraiment à nos ambitions", dit Monica Graham. "Il ne suffit pas qu'on n'aime pas quelque chose. Il faut vraiment que la démocratie soit menacée."

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