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La Bulgarie exhume les fantômes du passé de Julia Kristeva

Les services secrets bulgares l'avaient recrutée sous le pseudonyme de "Sabina" mais elle se serait montrée "peu disciplinée": la philosophe française Julia Kristeva aurait consenti dans les années 1970 à une collaboration avec le régime communiste de son pays d'origine, partiellement décrite dans des archives publiées vendredi à Sofia.

Un dossier de 160 pages a été mis en ligne sur le site de la commission bulgare chargée de l'ouverture des archives communistes, consacré aux activités de la femme de lettres française d'origine bulgare, figure de la gauche intellectuelle depuis les années 70.

Cette commission avait fait sensation en publiant mardi une notice inscrivant Mme Kristeva dans la longue liste des collaborateurs des services de renseignement du régime communiste. La linguiste et psychanalyste avait aussitôt réfuté vigoureusement ces affirmations.

Arrivée en France en 1966 pour ses études, mariée avec l'écrivain français Philippe Sollers, Julia Kristeva "présente de bonnes perspectives de travail auprès des artistes français", estime en 1971 une note de la "Darjavna Sigournost", la sécurité d’Etat.

Vers la fin 1970, "elle commence à donner oralement des informations sur nos émigrants, sur des organisations arabes progressistes, notamment palestiniennes, sur les activités de groupes maoïstes", selon une fiche de 1984.

Mais ces données "ne sont pas particulièrement intéressantes et elle se montre peu disciplinée": la philosophe se voit reprocher de rater les rendez-vous fixés avec ses contacts.

Recrutée le 21 juin 1971 sous le pseudonyme de "Sabina", "elle est définitivement exclue de l'appareil de collaboration début 1973", selon ce rapport, "car elle ne désire pas travailler".

Les archives publiées vendredi contiennent plus d'informations sur la biographie de Mme Kristeva et ses positions politiques que d'informations émanant de sa part. Aucun rapport de sa main n'y apparaît.

- Pressions ? -

Les documents semblent indiquer que cette intellectuelle a adopté une "stratégie personnelle pour protéger sa famille", a commenté à la radio bulgare Koprinka Tchervenkova, une ancienne dissidente anti-communiste.

Lors d'un entretien avec un agent en 1971, Mme Kristeva aurait souligné "la confiance" à son égard des services secrets qui "l'ont laissée aller travailler en France et ont autorisé ses parents à lui rendre visite".

En avril 1976, l'agent Antonov observe: "il est évident qu'elle veut faire venir ses parents, mais essaie d'agir à sa manière caractéristique - obtenir quelque chose sans rien nous donner en échange".

Selon la loi bulgare, une simple fiche de recrutement trouvée dans les archives des services de renseignement suffit à être déclaré "agent" ou "collaborateur". Cette règle est parfois critiquée pour mettre sur le même plan toutes les personnes ayant été en lien avec les services secrets.

Cette approche a été adoptée en raison de la destruction, en janvier 1990, peu après la chute du communisme, de près de la moitié des archives dont des rapports de collaborateurs.

Dans un communiqué mis en ligne cette semaine sur son site internet, la philosophe a qualifié les allégations sur une collaboration avec les services secrets bulgares de "grotesques et fausses".

Selon Ekaterina Bontcheva, membre de la commission bulgare chargée de l'ouverture des archives, "la collaboration de Julia Kristeva ne fait aucun doute". Elle était "motivée par le désir de développer sa carrière et n'a pas fait objet de pression".

Interrogée pour savoir si elle désirait être utile à son pays et aux services spéciaux "sur une base tout à fait volontaire", "elle s'est déclarée d'accord", selon un rapport de l'agent de recrutement.

Mais les agents bulgares qui l'ont surveillée ont également relevé qu'elle voyait le socialisme soviétique comme inadapté aux sociétés occidentales. Elle aurait estimé qu'en Bulgarie "l'ambiance est déprimante", que "toute pensée libre est abolie".

Interrogé par l'AFP, le journaliste d'investigation Hristo Hristov, qui travaille depuis vingt ans sur les archives des services secrets communistes, a jugé l'hypothèse d'une collaboration tout à fait crédible, au vu du dossier publié.

"Elle a fourni des informations orales, ce n'est pas inhabituel. C'est une femme intelligente, elle savait bien à qui elle parlait", a-t-il estimé.

Selon lui, le dossier "a été purgé avant qu'il ne soit remis à la commission en 2009" afin de "ne pas révéler la totalité de cette collaboration".

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