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La dure vie des végétariens en Uruguay, paradis de la viande

"En Uruguay, on se moque des végétariens, on nous qualifie de bizarres", soupire Laura Lacurcia qui, par pitié des animaux, les a retirés de son alimentation, un chemin de croix dans ce pays qui est l'un des plus grands exportateurs de viande. Parmi les autres commentaires qu'entend cette journaliste de 47 ans : "Tu veux faire ton intéressante et suivre la mode de ne pas manger de viande", raconte-t-elle.

Dans le petit pays sud-américain, où l'on explique fièrement qu'il existe plus de vaches - environ 10 millions - que d'habitants - 3 millions -, la récente mise en garde du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l'agence cancer de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), selon laquelle la viande rouge est "probablement cancérogène", a été accueillie par quelques haussements d'épaules. Avec un tel avertissement, "on touche au totem alimentaire" de l'Uruguay, neuvième exportateur au monde de viande mais aussi grand amateur de ce plat, estime Gustavo Laborde, anthropologue et auteur d'un livre sobrement intitulé "Le barbecue. Origine, histoire, rituel". "Si quelqu'un veut manger de la nourriture uruguayenne et qu'il est végétarien, il passe un très mauvais moment", commente-t-il avec humour.

Montevideo, capitale de 1,5 million d'habitants, ne compte qu'un restaurant végétalien et une poignée de restaurants végétariens, selon Titina Nuñez, directrice de la revue gastronomique Placer. "L'Uruguayen a beaucoup de mal à sortir de la pizza et du barbecue, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir au niveau gastronomique. Quand un restaurant mexicain ou japonais ouvre, il finit par rajouter à sa carte une +minuta+ (plat incluant des escalopes milanaises ou des saucisses, ndlr) car sinon, il finit par fermer", raconte-t-elle.

Face aux railleries, "il faut être très tolérant et prendre les blagues avec humour ou ne pas y prêter attention, car on est vu comme des bêtes curieuses", sourit Laura Lacurcia, qui a fait le choix d'être végétalienne, donc de supprimer aussi de son régime les oeufs ou tout autre produit provenant de près ou de loin d'un animal.

Jus de viande pour les bébés

Chaque année, un Uruguayen mange en moyenne 58,6 kilos de viande de boeuf, bien plus que les 20 kilos ingurgités par le Français moyen. S'il fallait supprimer la viande du menu quotidien, "l'Uruguay n'existerait pas", s'exclame un client dans un restaurant du typique Mercado del Puerto, en plein coeur de Montevideo, des halles où l'on mange presque exclusivement des grillades. "En plus, allons savoir quels sont les intérêts cachés derrière cette information" de l'OMS, ajoute un de ses voisins, sur un ton conspirateur.

Tous les dimanches, Montevideo embaume d'une odeur typiquement uruguayenne : celle du barbecue, star de toutes les réunions familiales. Et quand un agent immobilier vous fait visiter un appartement, il vous parle d'abord de la présence d'un barbecue sur la terrasse avant d'évoquer le nombre de mètres carrés. Le midi, les ouvriers improvisent souvent des barbecues directement sur le trottoir, en utilisant des parties métalliques du chantier pour y faire griller la viande. Même sur le réseau de rencontres en ligne Tinder, avoir un barbecue semble être un argument de poids, à en juger par sa présence écrasante, en toile de fond, sur les photos de profil des hommes célibataires.

Attablé à un restaurant du Mercado del Puerto, José Fernandez se souvient que, jusque dans les années 1970, les mères uruguayennes ajoutaient du jus de viande aux repas des bébés. "Au moment de la diversification alimentaire du bébé, elles mélangeaient le sang (de la viande) avec la purée", raconte ce fonctionnaire de 66 ans.

La mise en garde de l'OMS "me semble très alarmiste", confie la nutritionniste Rosana Viera. "La viande uruguayenne est très différente de celle produite dans d'autres pays", affirme-t-elle, avant d'asséner son argument de poids : "Ici les vaches sont élevées en plein air et c'est ce qui fait que la qualité, et pas seulement la quantité, de graisse est différente."

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