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Bruxelles: la famille Lumumba prépare le retour au Congo de la "dépouille" du héros de la lutte anticoloniale, 60 ans après son assassinat

La Belgique va restituer à sa famille une "relique" de Patrice Lumumba lors d'une cérémonie officielle prévue fin juin à Bruxelles, avant le retour de la dépouille au Congo pour "terminer le deuil", 60 ans après l'assassinat du héros de la lutte anticoloniale, selon deux de ses fils.

Dans un entretien avec l'AFP à Bruxelles, François et Roland Lumumba, 69 et 63 ans, expliquent être venus cette semaine dans la capitale belge fixer le calendrier et les modalités des hommages officiels qui seront rendus à leur père à cette occasion.

Il s'agit pour la Belgique, ancienne puissance coloniale au Congo, de restituer une dent du leader assassiné en 1961 au Katanga (province congolaise alors sécessionniste), dont le corps, dissous dans l'acide, n'a jamais été retrouvé.

Récupéré par la justice belge chez la fille d'un commissaire de police flamand ayant contribué à faire disparaître le corps, ce reste humain a valeur de "relique" pour les Congolais. Cette dent est l'une des pièces de l'enquête judiciaire pour "crime de guerre" ouverte après la plainte déposée en 2011 à Bruxelles par plusieurs de ses enfants, exigeant que soient éclaircies les circonstances de l'assassinat.

La relique va permettre à sa famille et à son pays natal de célébrer enfin "des funérailles nationales" pour celui qui fut le premier Premier ministre du Congo indépendant.

"Pour nous c'est sa dépouille, ça représente beaucoup", déclare Roland, troisième de la fratrie après François et Juliana - c'est elle qui avait réclamé l'an dernier cette restitution dans une lettre au roi des Belges Philippe.

"En tant qu'Africains, on ne pouvait pas terminer notre deuil sans un reste de son corps chez nous. On est arrivés au terme d'un litige qui a duré soixante ans, on est satisfaits", poursuit Roland Lumumba.

"Un soulagement"

"C'est un soulagement, une nouvelle page s'ouvre", lâche à ses côtés son aîné François.

Des cérémonies devraient se tenir les 21 et 22 juin à Bruxelles, selon eux: un premier jour pour la remise de "la dépouille" à la famille par les autorités belges, avant un hommage officiel le lendemain associant le pouvoir congolais, vraisemblablement le président Félix Tshisekedi.

La famille souhaite aussi que "le cercueil recouvert du drapeau congolais" soit aussi exposé publiquement à Bruxelles pour un moment de recueillement ouvert à la diaspora africaine avant l'envol vers le Congo.

"On est arrivé à harmoniser nos points de vue (avec les autorités belges) sur le déroulement des cérémonies", affirme François Lumumba.

Selon deux sources officielles belges consultées par l'AFP, il y a "encore des incertitudes" sur les dates.

"Une délégation congolaise s'annonce à Bruxelles pour récupérer la dent", indique une autre source belge, peu avant l'hommage prévu à Kinshasa le 30 juin.

En décembre 2020, le président Tshisekedi avait annoncé son intention d'organiser un hommage national à Patrice Lumumba le 30 juin 2021 pour le 61e anniversaire de l'indépendance, après le "rapatriement des reliques". L'idée est de lui ériger un mausolée dans la capitale congolaise.

Ses bourreaux ont fait disparaître son corps

Né en 1925, Patrice Lumumba a marqué les esprits par son réquisitoire contre la colonisation belge le jour de l'indépendance le 30 juin 1960, en présence du roi des Belges Baudouin, qui avait salué l'oeuvre civilisatrice de son pays.

Perçu comme prosoviétique et gênant pour les intérêts économiques belges, Patrice Lumumba a été assassiné.

L'assassinat

17 janvier 1961: l'avion en provenance de Léopoldville (aujourd'hui) Kinshasa se pose sur la piste de l'aéroport d'Elisabethville (Lubumbashi), capitale du Katanga minier, producteur de cobalt, de cuivre, d'uranium. Puis le convoi roule 55 km en direction de Kolwezi, bifurque à droite sur une piste en latérite rouge, parcourt encore quelques centaines de mètres, s'arrête au milieu d'une savane arborée.

Au pied d'un arbre, c'est un peloton d'exécution qui attend Patrice Lumumba et ses deux compagnons, Joseph Okito et Maurice Mpolo, à la nuit tombée.

A Léopoldville (actuelle Kinshasa), le tout jeune Premier ministre de 35 ans avait forcé les portes de l'Histoire, le 30 juin 1960, avec un réquisitoire contre la colonisation belge le jour de l'indépendance, en présence du roi Baudouin.

Il n'en fallait pas plus pour que les Occidentaux se méfient du jeune dirigeant nationaliste qui aggrave son cas à leurs yeux en cherchant l'appui des Soviétiques.

Pour le neutraliser, les Belges et la CIA jouent sur les ambitions des autres leaders congolais, dont le jeune chef d'état-major, Joseph-Désiré Mobutu, futur maître absolu du pays entre 1965 et 1997.

Renversé en septembre, Lumumba est livré pour son exécution aux autorités du Katanga, qui avait fait sécession du Congo dès juillet 1960, avec le soutien de la Belgique.  Ils l'ont exécuté avec l'aide de mercenaires belges, de nuit, en pleine nature, à une cinquantaine de kilomètres de Lubumbashi (ex-Elisabethville). Ses bourreaux ont fait disparaître son corps.

"Avant, on disait que c'étaient les Congolais, et plus spécialement les Katangais, qui l'avaient tué. Mais les archives ont parlé: ce sont des Belges qui ont planifié la mort de Lumumba et qui l'ont fait exécuter", insiste l'historien Guillaume Nkongolo.

En 2000, le policier belge Gérard Soete avait accepté de témoigner auprès de l'AFP de sa participation, quelque 40 ans plus tôt, à l'élimination du corps de Lumumba, assassiné avec deux de ses proches dans la province alors sécessionniste du Katanga, près d'Elisabethville (actuelle Lumumbashi, Sud).

"En pleine nuit africaine, nous avons commencé par nous saouler pour avoir du courage. On a écartelé les corps. Le plus dur fut de les découper" avant de verser l'acide, avait expliqué l'octogénaire, depuis décédé. "Il n'en restait presque plus rien, seules quelques dents", avait ajouté Gérard Soete.

Selon le sociologue belge Ludo De Witte, auteur d'un livre sur l'assassinat de Lumumba, Soete avait décidé de ramener avec lui en Belgique ces quelques reliques "comme des trophées de chasse".

L'exil en Egypte

En pleine guerre froide, sa famille a dû s'exiler un temps dans l'Egypte du président Gamal Abdel Nasser, se souviennent les fils, âgés de 10 et 3 ans à l'époque.

Une commission d'enquête du Parlement menée en 2000-2001 a conclu à la "responsabilité morale" de la Belgique dans l'assassinat. En 2002, le gouvernement belge a présenté les "excuses" du pays.

Depuis dix ans la justice belge mène une enquête pour "crime de guerre" (imprescriptible) après avoir été saisie d'une plainte de François Lumumba.

Selon son avocat Christophe Marchand, les investigations touchent à leur fin et "l'objectif est d'avoir une première audience devant une juridiction de renvoi à la fin de l'année", avant un possible procès d'assises.

"Petit à petit, la Belgique fait face à son passé colonial très douloureux et criminel, et pose des actes", estime l'avocat.

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