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La fuite de ténors républicains ancre le parti dans le giron de Trump

L'annonce choc du départ du plus puissant républicain du Congrès américain, Paul Ryan, marque une nouvelle victoire pour l'aile populiste des conservateurs dont la révolution anti-establishment a porté Donald Trump au pouvoir.

Vague de fond ou tendance transitoire à Washington ? Le "Trumpisme" vit son heure de gloire mais reste à voir s'il s'inscrira durablement dans l'ADN politique du parti républicain... et surtout s'il se traduira par des victoires lors des élections très attendues de mi-mandat en novembre.

Studieux, un brin guindé, Paul Ryan est un conservateur traditionnel qui, en vingt ans de carrière politique, avait fini par symboliser le pouvoir républicain sur Capitol Hill. Jusqu'à devenir le troisième personnage le plus puissant de la politique américaine lorsqu'il a été élu président de la Chambre des représentants en octobre 2015.

Mais alors même qu'il prenait les rênes du parti, Donald Trump, déjà lancé en pleine campagne présidentielle, semble lui avoir ravi les troupes républicaines.

Fervent partisan de l'orthodoxie budgétaire, il avait présidé la puissante commission de la Chambre chargée des impôts avant de se lancer dans la présidentielle de 2012 comme co-listier de Mitt Romney. Puis avait été élu "Speaker" par des parlementaires espérant qu'il restaurerait justement les liens entre les modérés et la faction ultra-conservatrice des républicains, le Tea Party, après une guerre intestine acharnée.

Avec sa retraite annoncée en janvier, le parti longtemps dirigé par un establishment républicain nourri au lait de la révolution conservatrice de Ronald Reagan pourrait désormais changer de mains.

"Il n'est plus fermement sous leur contrôle", remarque Michelle Nickerson, professeure d'histoire à l'université Loyola de Chicago. "Il y a une volonté" de partir vers le populisme.

Une théorie appliquée avec succès en 2016 par Steve Bannon, stratège controversé proche de l'extrême droite et conseiller d'un président qu'il a contribué à faire élire au prix d'un programme résolument populiste.

Tous d'eux d'origines irlandaises, Steve Bannon et Paul Ryan symbolisent les deux pôles opposés déchirant le parti républicain, l'ex-conseiller vouant un grand mépris au "Speaker" sortant: "Ryan était un enfant de choeur catholique qui était resté un enfant de choeur. Il n'était pas devenu en grandissant un voyou, un policier ou un prêtre - et pas non plus un véritable homme politique", écrit Michael Wolff dans son livre sur les premiers mois de la présidence Trump, pour expliquer pourquoi que M. Bannon "détestait les hommes politiques modernes".

- "Fuite des cerveaux" -

Et si certains ont voulu voir derrière le départ de Steve Bannon de la Maison Blanche en août 2017 la revanche de l'establishment, des signaux pointent dans une autre direction.

Alors que Paul Ryan et d'autres élus économiquement libéraux avaient mis en garde Donald Trump contre les périls d'une guerre commerciale, les menaces et décisions de la Maison Blanche ces dernières semaines vont ainsi dans le sens inverse. Et certains critiques voient en Paul Ryan un "complice" qui a piétiné ses propres convictions en faveur de l'austérité pour assurer le passage au Congrès d'un budget de 1.300 milliards de dollars en mars.

Un sénateur républicain, Jeff Flake, avait déploré en octobre "l'aspect destructeur de nos politiques", et le "manque de décence de notre discours". Reconnaissant qu'il ne serait peut-être pas capable de remporter la primaire pour sa propre succession dans un tel climat anti-establishement, il avait alors annoncé qu'il prendrait aussi sa retraite, cette année.

- Retour en 2020? -

Paul Ryan et Jeff Flake grossissent ainsi les rangs d'un nombre record d'élus républicains du Congrès qui préfèrent prendre la porte avant d'être poussés dehors.

"Ils sont plutôt modérés dans leur tempérament, donc quoi qu'il arrive en novembre, cela représente une grosse fuite de cerveaux et une perte d'expérience au Congrès pour le parti républicain", analyse Matthew Green, professeur spécialisé dans la politique à l'ère Trump de l'université catholique à Washington.

"Si des candidats suivant le modèle de Trump sortent gagnants, ça sera le signe que le parti bouge en direction de Trump. Novembre sera vraiment révélateur", poursuit-il.

Le choix du successeur de Paul Ryan sera tout aussi parlant. Le chef de la majorité à la Chambre, Kevin McCarthy, part en tête de la course, le numéro trois des républicains à la Chambre, Steve Scalise, étant également pressenti. Donald Trump serait proche des deux hommes.

Mais la vague Trump pourrait aussi n'avoir qu'un temps, Matthew Green soulignant qu'il n'est pas rare aux Etats-Unis qu'un parti soutienne son président "sur quasiment tout"... tant qu'il est à la Maison Blanche.

Et Paul Ryan, âgé d'à peine 48 ans, pourrait bien décider de ne prendre le large qu'un temps, afin de mettre de la distance entre lui et le président septuagénaire, pour mieux revenir plus tard.

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