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La naturalisation de Mamoudou Gassama, "récupération éhontée" pour les associations

"Reconnaissance" envers un "héros" ou "hypocrisie" politique ? La promesse de naturalisation française faite par Emmanuel Macron au Malien ayant sauvé la vie d'un enfant a été dénoncée par les associations d'aide aux migrants comme une "récupération" masquant mal "la dureté" de sa politique migratoire.

"On a un sentiment général de récupération politique éhontée" et "d'utilisation d'un fait divers pour faire de la communication et de l'affichage", a affirmé à l'AFP Jean-Claude Mas, le secrétaire général de la Cimade.

Mamoudou Gassama, jeune homme de 22 ans sans-papiers arrivé en France en septembre, s'est vu promettre une naturalisation express par le chef de l’État lors d'une rencontre lundi à l’Élysée. M. Gassama avait escaladé samedi la façade d'un immeuble parisien pour sauver un enfant de quatre ans suspendu à un balcon.

Si les associations se félicitent de l'avenir qui s'éclaircit désormais pour le jeune homme, elles n'en oublient pas pour autant le tour de vis initié sur l'immigration par le chef de l’État, qui avait fixé le cap dès septembre en estimant que "nous reconduisons beaucoup trop peu".

"C'est une façon de donner le change et des gages, pour compenser une politique endurcie sur le contrôle, le tri et la reconduite à la frontière", estime Jean-Claude Mas. Mais "cela pose beaucoup de questions quand on sait ce que fait ce gouvernement", a-t-il ajouté, rappelant le sort des sans-papiers "pourchassés, maintenus dans la précarité, non-reconnus dans leurs droits".

En octobre, Emmanuel Macron avait souhaité "que nous reconduisions de manière intraitable celles et ceux qui n'ont pas de titre" de séjour, ce qui englobe potentiellement un public très large, le nombre de sans-papiers ayant récemment été estimé à 300.000 par le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb.

Or ces sans-papiers, rappellent les associations, jouent un rôle crucial dans des secteurs comme l'hôtellerie ou le bâtiment notamment. Mamoudou Gassama travaillait d'ailleurs "au noir dans le bâtiment", selon son frère.

- "Bienveillance à bon compte" -

Aussi dans le geste du chef de l’État y a-t-il "une part d'hypocrisie ou de cynisme", a réagi Claire Rodier du Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigrés), en dénonçant "le contraste" avec une "politique répressive" qui "broie des dizaines de milliers de personnes".

L'acte de bravoure du jeune Malien intervient quelques jours avant la présentation mercredi en Commission des lois du Sénat du projet de loi sur l'asile et l'immigration, très contesté par les associations pour le durcissement de l'accès à la procédure d'asile et l'allongement de la rétention. Le texte avait donné lieu à des débats homériques à l'Assemblée.

Lors de sa rencontre avec le jeune homme, visiblement dépassé par le tourbillon politique et médiatique suscité par son geste, Emmanuel Macron a affirmé: "Vous êtes devenu un exemple car des millions de gens vous ont vu. C'est normal que la nation soit reconnaissante". Mais il s'agit là d'une "décision exceptionnelle", a-t-il prévenu.

L'exécutif "achète à bon compte une image de bienveillance", s'agace Claire Rodier.

Les critiques étaient également présentes sur les réseaux sociaux, le mouvement Génération.s de Benoît Hamon parlant de "sommet d'hypocrisie" tandis que la sénatrice écologiste Esther Benbasse parlait de "+com'+ à l'état pur".

Cette mise en valeur d'un migrant, passé par la Libye et l'Italie, contribuera-t-elle à apaiser le débat sur ce sujet qui fait l'objet de nombreuses crispations? Claire Rodier rappelle que "ce n'est pas la première fois" que l'on assiste à ce genre d'histoires "qui se décline avec des variantes".

En janvier 2015, Lassana Bathily, un demandeur d'asile malien, avait été naturalisé pour son rôle clé auprès des forces de l'ordre lors de la prise d'otage jihadiste de l'HyperCacher. Deux mois plus tard Armando Curri, un Albanais de 19 ans désigné meilleur apprenti menuisier de France, avait été régularisé in extremis pour aller chercher sa décoration au Sénat.

"A chaque fois, cela n'a pas déclenché un processus changeant le regard sur les sans-papiers", ajoute la responsable du Gisti.

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