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La pauvreté en marge: bombe à retardement de la guerre en Colombie

Ils vivent dans les bidonvilles qui surplombent Bogota. Des centaines de familles ont échoué là, fuyant les campagnes de Colombie ensanglantées par une guerre peu ressentie en ville. Aujourd'hui, ces déplacés sont les oubliés de la paix.

Dans la froide grisaille des Andes, la banlieue pauvre de Ciudad Bolivar semble accrochée aux montagnes. Sur un sommet, le quartier d'El Ensueño, où des paysans évincés de leurs terres ont érigé leurs masures, craignant à tout moment d'être délogés.

Vivent là 600 familles, la plupart victimes du conflit armé, que l'accord de paix avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), désormais dissoute, a tempéré.

Hommes, femmes et enfants s'entassent dans des cabanes. La boue est partout. L'eau vient des torrents de la cordillère. L'électricité, de connections pirates. S'il y a des bus, peu ont l'argent pour un ticket.

"La Colombie se divise entre ceux qui ont un vrai logement et nous qui n'avons qu'une maison de tôle (...) ceux qui mangent quand ils veulent et nous qui ne faisons qu'un repas par jour", déplore José Pineda, 50 ans, père de trois enfants.

Une guerre de plus d'un demi-siècle qui n'en finit pas de se terminer -des groupes armés se disputent encore le contrôle du narco-trafic- a aggravé la pauvreté dans ce pays parmi les plus inégalitaires du monde, avec Haïti et le Honduras, selon la Banque mondiale et l'ONU.

Près de huit millions de personnes ont été déplacées par la violence, qui en a poussé des milliers "vers les villes, générant des cercles de misères" à la marge, précisé à l'AFP Jorge Restrepo de l'université Javeriana, auteur de l'étude "Conflit et Pauvreté en Colombie".

Outre les Farc, la guerre a impliqué une trentaine de guérillas, paramilitaires d'extrême droite et forces armées.

- Pièges de la misère -

M. Pineda a fui le sud-est il y a quatre ans après de durs interrogatoires pour ses liens présumés avec les Farc, qui ont signé la paix fin 2016 et déposé les armes.

Il est venu grossir s'ajouter aux pauvres des périphéries. De leur sort, dépend en partie la capacité pour la 4e économie d'Amérique latine à se pacifier totalement, en évitant que la violence migre vers les villes sous le prochain président. Le premier tour de l'élection est prévu le 27 mai, le second le 17 juin.

Oscar Lezama, un ex-policier qui a fui en 2012, vit à El Ensueño avec son épouse et quatre enfants. "La guerre nous a expulsé de la campagne et en ville, il nous faut nous battre pour 5m2", dit cet homme de 48 ans qui incarne les frustrations issues de l'accord de paix.

Bien qu'il ait évité les 3.000 morts par an du passé, ce pacte a polarisé les Colombiens: une partie critique son indulgence envers les ex-rebelles, habilités à entrer en politique avant de répondre de leurs crimes. Et la droite entend le modifier si elle remporte la présidentielle.

Dans des zones comme Ciudad Bolivar, où vivent environ 700.000 personnes, une autre cause de rejet: la paix n'a pas allégé le sort des déplacés qui ont tout perdu.

Le gouvernement du président Juan Manuel Santos, au pouvoir depuis 2010, a lancé un ambitieux programme de restitution de terres, mais sans mesures spécifiques pour ceux restant en ville.

- Nouvelle violence -

La pauvreté en termes de revenus a diminué, de 37,2% en 2010 à 26,9% en 2017, et l'extrême misère de 12,3% à 7,4%. Toutefois, il reste 13 millions de pauvres sur près de 50 millions d'habitants.

Sans "programmes plus ambitieux", la pauvreté sera "un facteur permanent de violence et même de retour à la guerre", avertit l'économiste Eduardo Sarmiento.

A El Ensueño, des groupes armés profitent du vide laissé par les Farc, les trafiquants de drogue cernent les écoles.

Cinq organisations illégales, dont l'Armée de libération nationale (ELN), dernière guérilla active, opèrent à Ciudad Bolivar, selon le Défenseur du peuple, organisme public de protection des droits humains.

Et la violence persistant dans certaines régions rurales peut générer de nouveaux déplacés, alimentant cette bombe sociale à retardement.

Deysi Garcia, une paysanne mère de cinq enfants, a failli perdre sa ferme de Viota, à 90 km de Bogota. Des paramilitaires ont occupé ses terres, où ont ensuite étaient découverts deux cadavres.

Libérée de prison, elle a réussi à garder ses plants de café, mais doit travailler comme domestique. Trop isolée, son exploitation n'est pas rentable.

"Les acheteurs paient peu et cela ne couvre pas les frais de production", regrette cette veuve de 38 ans.

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