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La rhétorique anti-migrants fait-elle écho aux années 1930 ?

La crispation du débat public et le durcissement du discours des politiciens autour de la crise migratoire en Europe et aux Etats-Unis illustre un regain nationaliste, mais les avis divergent quant à une similitude avec les années 1930.

De Donald Trump à l'Italien Matteo Salvini, de Victor Orban au Belge Theo Francken, certains dirigeants politiques de premier plan utilisent un vocabulaire très dur à l'égard des migrants, dans un contexte général de durcissement des politiques migratoires en Europe et aux Etats-Unis.

Les immigrés illégaux qui "déferlent et infestent notre pays" pour Donald Trump, "l'Afrique veut enfoncer notre porte, et Bruxelles ne nous défend pas" pour Viktor Orban, "les Roms italiens, malheureusement, tu dois te les garder à la maison" se désole le puissant ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini...

La parole de ces dirigeants se libère et certains y voient la résurgence des années 1930 en Europe, quand les nazis et fascistes sont arrivés au pouvoir dans certains pays d'Europe, avant la deuxième guerre mondiale et l'Holocauste.

"La ligne dure de Trump sur l'immigration trace un parallèle avec les années 1930", pour le Washington Post. "Inspiré par Trump, le monde pourrait retourner vers les années 1930", juge The Guardian. Le magazine allemand Stern a mis en couverture un photomontage de Donald Trump faisant un salut nazi.

- Virus -

"Oui et non", répond le politologue et historien français Guy Hermet, auteur notamment de "Histoire des nations et du nationalisme en Europe". S'il y a une montée des partis "hors-système" et une population ciblée, la situation actuelle "n'est pas une séquelle d'une guerre mondiale", comme le furent nazisme et fascisme arrivés au pouvoir après la fin de la Première guerre.

"Les historiens hésitent à élaborer de grandes théories relatives à l'existence d'un nationalisme ou d'un racisme organiques, inhérents à la nature humaine. Ils préfèrent relever des faits dans un contexte particulier", juge l'historien français Ralph Schor, auteur notamment de "Français et immigrés en temps de crise", relevant que la crise de 1929 avait "dramatisé" la "méfiance instinctive" des populations envers les immigrés.

"Les circonstances sont très différentes de celles des années 1930. Mais ce n'est pas ce qui compte", juge James McDougall, professeur associé d'Histoire moderne à l'université d'Oxford. "Le fascisme est comme un virus: il mute et s'adapte à son environnement. Ce sont les traits familiaux qui permettent de l'identifier" aujourd'hui et de citer pêle-mêle ce qu'il qualifie de xénophobie, nationalisme, anti-intellectualisme, anti-cosmopolitisme etc..., qui auraient le vent en poupe.

Au-delà de la propagation d'une éventuelle "lèpre" nationaliste pour reprendre l'expression du président français Emmanuel Macron, d'un strict point de vue sémantique, "il y a une prolifération de séries de termes, de catégories, étiquettes, accolés aux migrants" depuis 2014-2015, relève Sarah Al-Matary, maître de conférences en littérature à l'université Lyon 2, et présidente de la SELP (Société d'étude des langages du politique), une association qui se penche sur le langage politique.

Cette experte détaille deux grandes tendances héritées de l'Histoire: "l'animalisation et la nosographie, tout ce qui rapporte à la maladie, qui prennent de l'ampleur au XIXe siècle avec le nationalisme organique, qui dit que l'Etat est un corps vivant. A partir du moment où on considère que le corps social est vivant, il peut mourir, et on peut avoir peur des éléments allogènes, d'où le lexique de l'invasion et de l'infection".

C'est d'ailleurs le même procédé qu'utilise Emmanuel Macron parlant de la "lèpre".

- Nationalisme de circonstance -

Pour autant, "je ne crois pas que ce soit aujourd'hui une résurgence d'un nationalisme organique fondamental, c'est un nationalisme de circonstance, de consommation. Les gens s'effraient de voir leurs conditions de vie empirer, c'est beaucoup moins profond, enraciné, anthropologique que le nationalisme organique ou romantique", juge Guy Hermet.

Et ce durcissement de langage concerne les formations de droite classique mais aussi des responsables politiques plus au centre de l'échiquier, comme par exemple quand le ministre français de l'Intérieur Gérard Collomb, issu des rangs socialistes, parle de "submersion migratoire".

"Les partis de droite traditionnels glissent vers le discours populiste tout en se défendant de glisser vers les formations populistes", relève M. Hermet.

Pour James McDougall, professeur associé d'histoire moderne à l'université d'Oxford, "le plus grand risque pour les démocraties serait que la droite classique normalise et s'accommode des tendances fascistes, ce que nous voyons en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis".

Ce durcissement du langage hérisse certains. L'ancien député européen écologiste Daniel Cohn-Bendit a fustigé ce langage, se plaçant sur le terrain moral. "La parole n'est pas innocente, la submersion c'est un langage d'extrême droite (...) on n'a pas le droit de se laisser aller à ce vocabulaire".

Mais pour l'ancien ministre des Affaires étrangères français Hubert Védrine, l'argument moral ne tient plus face à la nécessité d'une action européenne pour contrôler les flux migratoires. Il critique dans une tribune publiée jeudi dans le quotidien Le Monde "ceux qui espéraient paralyser les réactions de rejet des migrations de masse à coup d'eau bénite ou de condamnation morales".

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