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La Silicon Valley et les syndicats, le choc des cultures

Bien payés, très demandés... : à première vue, les informaticiens de la Silicon Valley n'ont pas vraiment de raison de se vouloir se syndiquer. Et pourtant, ils s'y intéressent de plus en plus même si cela reste timide.

Bjorn Westergard, "software engineer", a été mis à la porte en janvier avec une douzaine de collègues par la startup Lanetix, spécialisée dans les logiciels professionnels, qui invoque des motifs économiques.

Mais pour les salariés renvoyés, la raison est toute autre : ils tentaient de créer une section syndicale pour batailler contre une direction contestée. Les licenciements sont intervenus "quelques jours" après avoir envoyé une demande d'affiliation à la Communications Workers of America, explique à l'AFP M. Westergard.

"Je pense que c'est la première fois que des ingénieurs informatiques travaillant dans une entreprise (purement technologique) ont (fait cette démarche)", explique-t-il, notant que les "cols blancs" de la tech n'ont pas de tradition syndicale, loin des "cols bleus" de l'industrie ou des enseignants.

"Ce n'est pas difficile de trouver un emploi et ça paie assez bien donc il y a cette idée que si vous avez un problème, vous pouvez juste partir et trouver un autre emploi", note M. Westergard.

Mais "serait-il si difficile de régler le problème dans l'entreprise ?", s'interroge-t-il.

- Hostilité -

Historiquement, les syndicats n'ont jamais eu bonne presse au royaume américain de la technologie: "de façon générale, les employeurs de la Silicon Valley sont profondément hostiles à l'idée de syndicat", dit William Gould, professeur de droit à l'université de Stanford, cité dans le San Francisco Chronicle.

Les grandes entreprises comme Facebook ou Google sont connues pour chouchouter leurs ingénieurs : salaires élevés, assurance santé de qualité, repas à volonté, vélos, cours de danse, bus spéciaux... Pas de quoi, à première vue, susciter des piquets de grève.

Les employeurs de la tech "conservent une idéologie +libertarienne+ qui considère que les syndicats sont un frein au progrès, une idéologie qui, fort opportunément, satisfait aussi leurs intérêts économiques", explique à l'AFP David Judd, de l'organisation Tech Workers Coalition, qui aide les salariés du secteur sans être formellement un syndicat.

Selon le magazine Time en 2014, Amazon a tout fait pour empêcher la syndicalisation des salariés de ses entrepôts, prônant une "relation directe" entre direction et employés.

Sollicitées par l'AFP, Lanetix comme l'association ITIC, l'une des organisations représentant les entreprises technologiques, n'ont pas donné suite.

Pour la Tech Workers Coalition, l'action des salariés de Lanetix illustre une certaine prise de conscience dans le secteur technologique, dont les salariés se sentent de moins en moins à part du reste de la société, compte tenu de l'importance croissante de la technologie dans la vie quotidienne de tout-un-chacun.

"Il y a eu une vague de syndicalisation ces dernières années parmi les salariés employés par des sous-traitants" qui nettoient les bâtiments d'Apple ou tiennent la cafeteria chez Facebook, explique à l'AFP David Judd.

Pour ce qui est des informaticiens, il y a encore pour l'instant "peu de syndicalisation officielle parmi les +software engineers+ et autre cols blancs dans les entreprises technologiques américaines, mais il y a un intérêt sain parmi les employés du secteur pour s'organiser", assure-t-il.

- Valeurs -

Car, par exemple, "les horaires peuvent être épuisants, sous prétexte que (l'entreprise) change le monde", dit encore M. Judd, reprenant le mantra du secteur technologique.

Un avis partagé par David Bacon, auteur et photographe spécialiste des syndicats, syndicaliste lui-même et renvoyé en 1982 de l'usine de composants National Semiconductor, en raison, selon lui, de son activisme syndical.

"Il y a beaucoup d'activité parmi les employés qui travaillent pour les sites internet ou les médias numériques et qui essaient de s'organiser", dit-il à l'AFP, comparant ce qui se passe chez Lanetix à ce qu'il a connu chez les ouvriers des usines d'électroniques il y a 40 ans.

Autre facteur, renforcé depuis l'élection du républicain Donald Trump, les salariés veulent défendre des "valeurs".

"Nous ne voulons pas que nos employeurs puissent tranquillement créer des outils de surveillance pour Trump contre nos collègues et nos voisins, ou arnaquent leurs utilisateurs en vendant leurs données, en ignorant les problèmes de sécurité ou en manipulant les contenus", dit David Judd, autant de reproches contre les groupes technologiques, en particulier Facebook.

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