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Le cardinal cubain Jaime Ortega, artisan du dégel avec les Etats-Unis

Il avait joué un rôle-clé dans le rapprochement historique entre Cuba et Etats-Unis, fin 2014, mais aussi dans le dialogue entre Eglise et autorités cubaines: le cardinal Jaime Ortega est décédé vendredi à l'âge de 82 ans, à un moment où son pays est sous le feu des sanctions américaines.

Considéré comme un homme de consensus, le cardinal Ortega a passé 35 années à la tête de l'Eglise cubaine avant de présenter sa démission en 2011, comme l'y obligeaient les règles vaticanes lorsqu'un archevêque atteint 75 ans.

Mais le pape François, dont il est un ami proche et qu'il avait reçu sur l'île en 2015, ne l'a acceptée qu'en 2016.

Le cardinal était d'ailleurs son messager au cours des 18 mois de négociations secrètes qui ont mené à l'annonce inattendue d'un rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis en décembre 2014.

Ce dégel fut accompagné par un échange de prisonniers entre les anciens ennemis de la Guerre froide, puis de la visite historique du président américain Barack Obama sur l'île en 2016.

Il n'aura toutefois été que de courte durée, l'arrivée à la Maison blanche de Donald Trump en 2017 ayant été accompagnée d'une salve de sanctions contre Cuba, pour son soutien au gouvernement vénézuélien de Nicolas Maduro.

"L'Eglise ne peut être simple spectatrice", confiait le cardinal Ortega, fin sourire et manières suaves, lors d'une interview en 2015. Un message qu'il a mis en pratique en devenant au fil des ans l'interlocuteur privilégié des autorités communistes.

Sa détermination et sa patience lui avaient permis d'ouvrir en mai 2010 un "dialogue" direct et inédit avec Raul Castro, alors président, dont le résultat le plus flagrant fut la libération de quelque 130 prisonniers politiques.

Ce dialogue, "entre Cubains", soulignait le cardinal, avait également permis d'ouvrir l'espace à la pratique religieuse, aux activités sociales de l'Eglise et à élever la voix tant pour soutenir les réformes économiques du gouvernement que pour en critiquer la gestion.

- "Cubaniser" l’Eglise -

Reconnu par le rapport 2010 du département d'Etat américain sur la liberté religieuse, le travail du cardinal Ortega a également suscité de dures critiques d'opposant radicaux et d'anti-castristes exilés qui l'accusaient de "collusion" avec le régime communiste et de promouvoir l'exil des opposants.

Unique institution idéologiquement éloignée du régime cubain, l'Eglise a entretenu des relations difficiles avec le pouvoir de Fidel Castro : expulsion de prêtres, confiscation de propriétés, discrimination, etc.

La première visite papale dans l'île, celle de Jean Paul II en janvier 1998, a marqué un tournant. La confrontation a fait place au dialogue et l'Eglise a doucement investi le champ social et culturel.

Le cardinal Ortega avait aussi su s'affirmer quelques jours avant la visite de Benoît XVI, en 2012, en demandant aux autorités l'évacuation sans violence d'une douzaine d'opposants qui occupaient une église du centre de La Havane pour demander des ouvertures politiques.

Sa cicatrice restait son service militaire qu'il avait effectué en 1966 dans un de ces camps de travail où l'Etat envoyait alors homosexuels, religieux et autres oisifs "socialement dangereux".

Mais quand son père lui avait proposé de s'exiler, huit mois plus tard, il avait refusé. "Jamais je n'ai voulu vivre ailleurs qu'à Cuba, un pays que j'aime de toute mon âme", a-t-il expliqué en 2011.

Né le 18 octobre 1936 dans le village de Jagüey Grande (ouest), il a étudié quatre ans au Canada avant de s'insérer dans une institution catholique cubaine qui était alors fortement sous influence espagnole et financée par les Etats-Unis. Il a su "cubaniser" l'Eglise catholique - qui ne regroupe que 10% des 11,2 millions de Cubains - et la rapprocher des cultes afro-cubains chers à la grande majorité de la population.

Evêque en 1978, Mgr Ortega avait été nommé archevêque de La Havane par Jean-Paul II en 1981, puis créé cardinal en 1994 - le premier cubain depuis 1963 -.

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