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Le dopage fait tache au pays des "scarabées" de Colombie

Berceau des "scarabées", le surnom de ses grimpeurs, le cyclisme colombien, porté aux nues avec Egan Bernal, premier Latino-américain à remporter le Tour de France, se débat avec la réalité du dopage.

L'Union cycliste internationale (UCI) classe la Colombie au 2e rang des pays comptant le plus de coureurs suspendus ou sanctionnés pour dopage (20 soit seulement un de moins que le Costa Rica).

L'AFP a recueilli les témoignages d'une médecin, qui a travaillé avec ces sportifs, ainsi que d'un coureur à la retraite, d'un préparateur physique et d'un journaliste qui a enquêté sur le sujet. Tous coïncident sur le fait que le dopage est omniprésent, et presque inévitable pour être compétitif au niveau local.

Le scandale a miné cette année Manzana Postobon, unique équipe colombienne professionnelle (continental Pro), dissoute par son propriétaire en mai.

L'onde de choc s'est propagée alors que Bernal montait sur la plus haute marche du podium et que les "scarabées" (Quintana, Lopez, Uran, Chaves...) nourrissent de grands espoirs sur les routes du Tour d'Espagne qui s'élance samedi.

- Langage codé -

Il existe un mot très connu du peloton colombien, mais tabou: "la pichicata", qui en langage populaire désigne une substance narcotique.

Les cyclistes se réfèrent ainsi au dopage, précise sous couvert d'anonymat un ancien coureur au sein d'équipes professionnelles sur route.

Pendant les compétitions, raconte-t-il, il a souvent vu sur le sol des emballages de substances dopantes: "C'était frustrant car je sentais que la course n'avait même pas débuté, mais que j'avais déjà perdu". Dégoûté, il s'est retiré au bout de deux ans, en 2010.

L'AFP a vérifié l'existence d'une page web qui, via les réseaux sociaux, vend des substances interdites par l'UCI et l'Agence mondiale anti-dopage (AMA), mais considérées comme légales en Colombie.

Selon l'ancien cycliste, "personne ne va traiter l'autre de tricheur (...) tous savent que ça peut leur arriver à n'importe quel moment".

- Dissimulation -

Une médecin, qui a travaillé avec une équipe colombienne entre la fin des années 1980 et le milieu des années 1990, est catégorique: "Le +doping+ a toujours existé dans le cyclisme colombien" et la fédération nationale s'est chargée de "le dissimuler".

Cette spécialiste, qui requiert l'anonymat car elle s'occupe encore d'athlètes, affirme avoir affronté entraineurs et sportifs. Elle mettait ces derniers en garde: "Quand vous vous retirerez, vous allez subir les conséquences de votre dopage qui peut provoquer cancer, atrophie des testicules, stérilité".

La pratique persiste, selon un préparateur physique de coureurs professionnels. "Il y a de nombreux cas de cyclistes dopés qui n'ont pas été rendus publics par la Fédération", dit-il, demandant aussi à ce que son identité ne soit pas révélée.

Selon lui, la Fédération colombienne de cyclisme, au lieu de prendre des sanctions, alertait les équipes en secret lorsqu'un de leurs coureurs était contrôlé positif. "Ils font ça pour ne pas effrayer les sponsors", explique-t-il.

En 2017, l'UCI a dépêché une délégation pour procéder à des prélèvements lors du Tour de Colombie et les a fait analyser aux Etats-Unis. Le laboratoire de Bogota avait alors perdu son accréditation de l'AMA.

Huit coureurs avaient été contrôlés positifs, chiffre le plus élevé dans l'histoire de la Vuelta colombienne.

En 2018, la compétition a été exclue du calendrier UCI et la Fédération a recommencé à assurer le contrôle anti-dopage. Elle n'a fait état d'aucun cas positif durant la dernière édition et un seul coureur a été sanctionné en 2019.

Le président de la Fédération, Ovidio Gonzalez, nie catégoriquement que le dopage soit généralisé et défend la transparence de l'organisation qu'il dirige depuis 2017.

"Absolument tous les cas positifs que nous rencontrons sont annoncés sur notre page web et sanctionnés", affirme-t-il.

- Carrière en jeu -

Bien que la Colombie reste exportatrice de talents comme Egan Bernal, 22 ans, les chasseurs de champions les isolent de la scène locale afin d'éviter qu'ils se "contaminent", selon le journaliste Gustavo Duncan, qui a dénoncé le phénomène du dopage.

"Les équipes étrangères ne prennent même pas en compte les coureurs de plus de 23 ans car elles savent que, hors des catégories juvéniles, il est quasiment impossible de courir en Colombie sans se doper", dit-il.

L'entraineur Luis Fernando Saldarriaga, qui a découvert Nairo Quintana (Movistar) et Esteban Chaves (Mitchelton-Scott), le confirme: "Ce sont des talents que l'on prépare dès leur jeune âge pour les emmener à l'étranger. Jamais nous ne les faisons participer à un Tour de Colombie car leur capacité serait mise en doute".

Au début de cette année, M. Saldarriaga a été surpris que Wilmar Paredes et Juan José Amador, ses poulains de l'équipe Postobon, soient contrôlés positifs.

Le préparateur physique, consulté sous couvert d'anonymat, ajoute: "Si deux garçons, qui travaillent comme professionnels avec des entraîneurs qui leur ont expliqué l'importance de ne pas se doper, peuvent se transformer en tricheurs, alors n'importe quel jeune peut le devenir".

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